Contrôler l’utilisation par le salarié de sa messagerie professionnelle : vos droits, vos devoirs…
Contrôler l’utilisation du matériel de l’entreprise
C’est un principe ! Vous pouvez contrôler l’utilisation que les salariés font du matériel informatique que vous mettez à leur disposition dans le cadre de leur mission professionnelle. Parce que ces outils sont destinés à être utilisés pour l’exécution de leur travail, ils ont un caractère professionnel, ce qui vous autorise à exercer un contrôle.
Des tolérances généralement admises pour des utilisations personnelles. D’une manière générale, la plupart des entreprises, comme les tribunaux, reconnaissent la possibilité aux salariés d’utiliser ces outils informatiques à des fins privées. Mais il est important, toutefois, de souligner que cette tolérance ne vaut que si cette utilisation privée est raisonnable et qu’elle n’affecte pas la sécurité des réseaux informatiques, ni la productivité attendue dans l’exécution de sa mission par le salarié.
Interdire ou limiter l’utilisation privée du matériel professionnel. Un certain nombre d’entreprises insère une clause, dans leur règlement intérieur, visant à limiter ou interdire l’utilisation de la messagerie professionnelle à des fins personnelles. Rappelons toutefois que le règlement intérieur n’est obligatoire que dans les entreprises d’au moins 20 salariés. Mais les petites entreprises, non soumises à cette obligation, peuvent tout à fait diffuser une note de service en ce sens.
Mettre en place une charte informatique ? Vous pouvez rédiger une charte informatique, que vous diffuserez par le biais d’une note de service ou qui sera annexée à votre règlement intérieur. Cette charte a pour but de délimiter le cadre de l’utilisation des nouvelles technologies d’information et de communication (téléphones, ordinateurs, messageries…). Si votre entreprise dispose d’un comité d’entreprise, vous devrez le consulter sur ce point.
Le saviez-vous ?
Les abus caractérisés peuvent faire l’objet de sanctions : c’est ainsi qu’un employeur a pu licencier pour faute un salarié qui, durant ses heures de travail et en violation du règlement intérieur de l'entreprise, bombardait ses collègues d'innombrables courriels, dont 178 pour une seule destinataire, pour la plupart téléchargés en vidéo, consistant en des dessins animés, des scènes de sexe, d'humour, de politique, etc., et en utilisant le réseau informatique de l’entreprise.
Contrôler l’utilisation de la messagerie professionnelle : guide des bonnes pratiques
Contrôler la messagerie professionnelle, oui... Vous pouvez exercer un contrôle sur les e-mails adressés par l’intermédiaire de la messagerie électronique de l’entreprise : le juge a rappelé que les courriels adressés ou reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique que vous mettez à sa disposition pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel. Il en sera de même à propos des e-mails transférés de la messagerie personnelle du salarié vers sa boîte mail professionnelle qui seront présumés professionnels.
Le saviez-vous ?
Une restriction s’impose à vous ici : vous ne pourrez pas consulter librement, en dehors de la présence du salarié, un e-mail reçu ou adressé clairement identifié comme étant personnel. Si vous justifiez d’un motif légitime, vous pouvez demander au juge la désignation d’un huissier de justice qui pourra alors procéder à l’ouverture des e-mails en question, en présence du salarié (le procès-verbal établi par l’huissier pourra servir de preuve d'un manquement du salarié à ses obligations contractuelles).
… mais… Si les emails, ou tout autre document, sont clairement identifiés comme étant personnels, vous ne devez pas les consulter ! Les ouvrir relèverait d’une atteinte à la vie privée de votre salarié. La question est plus délicate quand il s’agit de contrôler l’utilisation d’une messagerie instantanée…
Attention. Des correspondances entretenues par le biais de la messagerie personnelle d’un salarié (MSN Messenger par exemple), même depuis un ordinateur mis à sa disposition par l’employeur, conservent un caractère personnel. Leur lecture constitue une violation du secret des correspondances.
Attention bis. Pour rappel, chacun a droit au respect de sa vie privée. Aussi, la présentation d’une conversation privée du salarié qui ne serait pas justifiée par l’exercice légitime du droit à la preuve porterait atteinte à sa vie privée. Et le juge estime que la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit, pour le salarié, à réparation.
1er conseil : informez vos salariés ! Vous devez informer vos salariés que leurs communications peuvent faire l’objet d’une surveillance. Cette information doit être préalable à toute opération de surveillance, et ce, même si votre règlement intérieur interdit expressément l’utilisation du matériel professionnel à des fins personnelles.
2ème conseil : veillez au caractère raisonnable de votre contrôle ! L’étendue de la surveillance ainsi que le degré d’intrusion doivent être raisonnables. En cas de contentieux, les juges distingueront entre la surveillance des flux de communications et la surveillance de leur contenu, mais également entre la surveillance de l’ensemble des communications ou seulement une partie et ils vérifieront la durée de la surveillance ainsi que le nombre de personnes qui accèdent aux résultats de cette surveillance.
3ème conseil : faites le point sur vos motifs ! Vous devez, en effet, disposer d’un motif légitime pour justifier la surveillance des communications et l’accès à leur contenu. Notez, par ailleurs, que la surveillance du contenu des communications étant particulièrement intrusive, le motif doit être sérieux.
4ème conseil : prenez des mesures de surveillance adaptées. Vous devez opter, lorsque c’est possible, pour un système de surveillance reposant sur des moyens et des mesures moins intrusifs que l’accès direct au contenu des communications de l’employé. Autrement dit, vous devez choisir un système de surveillance qui soit adapté au but recherché en évitant, autant que possible, d’utiliser des méthodes intrusives.
5ème conseil : si votre mesure est inefficace, changez-la ! L’utilisation des résultats et les conséquences de cette surveillance pour le salarié concerné doivent permettre d’atteindre le but déclaré de la mesure.
6ème conseil : préservez la confiance de vos salariés ! Le salarié doit bénéficier de garanties adéquates quant à la protection de ses communications, afin que l’employeur ne puisse pas accéder à leur contenu sans qu’il n’ait été préalablement informé de cette éventualité.
A retenir
Vous pouvez contrôler l’usage fait par un salarié de sa messagerie mais vous ne pouvez pas contrôler librement le contenu de ses communications. Concrètement, si les communications sont identifiées comme « personnelles », vous ne pourrez y accéder qu’en présence du salarié ou après l’avoir dûment informé. Mais même si les communications ne sont pas identifiées comme telles (parce qu’il s’agit d’une messagerie instantanée, par exemple), vous devez fournir à votre salarié des garanties du secret de ses correspondances.
J'ai entendu dire
Question : Un salarié est en vacances et je dois impérativement accéder à sa messagerie professionnelle. Ai-je le droit de le faire ?Réponse : Nécessité de service oblige, vous pouvez consulter la messagerie de votre salarié. On rappelle qu’un e-mail reçu ou envoyé via la messagerie professionnelle a, par principe, un caractère professionnel. Vous pourrez donc consulter ses messages, sauf s’ils sont clairement identifiés comme étant personnels : vous n’avez pas le droit d’en prendre connaissance, puisque vous devez respecter le secret des correspondances.
Question : J’ai confirmation qu’un de mes anciens salariés, qui a créé une entreprise concurrente à la mienne, s’est clairement rendu coupable de concurrence déloyale à mon égard en débauchant des clients : pour preuve, j’ai une copie de mails transmis sur une de ses anciennes boîtes mails. Est-ce que je peux les utiliser contre lui ?
Réponse : Dans l’absolu, s’il s’agit de son ancienne boîte mail professionnelle, ces documents doivent pouvoir être utilisés, puisque vous êtes autorisé à consulter et contrôler librement les messages envoyés ou reçus par vos salariés dans le cadre des messageries professionnelles, pour autant que ces mails ne soient pas identifiés comme étant personnels. Par contre, sachez que les juges ont récemment estimé que les mails envoyés sur une messagerie personnelle d’un ancien salarié, distincte de sa messagerie professionnelle, ne peuvent pas être utilisés comme mode de preuve d'actes de concurrence déloyale, même si leur contenu est en rapport avec son activité professionnelle.
- Article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 18 octobre 2011, n° 10-26782 (e-mails identifiés comme étant personnels)
- Arrêt de la Cour de Cassation du 26 juin 2012, chambre sociale, n° 11-15310 (les e-mails adressés ou reçus par le salarié à l'aide de l'ordinateur professionnels sont présumés professionnels)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 16 avril 2013, n° 12-15657 (utilisation de mails pour prouver des actes de concurrence déloyale)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 18 décembre 2013, n° 12-17832 (envois en nombre d’emails non professionnels dans l’entreprise)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 26 janvier 2016, n° 14-15360 (protection des correspondances de la messagerie personnelle, même sur l’ordinateur professionnel)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 7 avril 2016, n° 14-27949 (protection des correspondances de la messagerie personnelle, même sur l’ordinateur professionnel)
- Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, Grande Chambre, du 5 septembre 2017, n° 61496/08 (accès au contenu des conversations instantanées)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 19 juin 2019, n° 17-28544 (exemple de contrôle de l’outil informatique)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 23 octobre 2019, n° 17-28448 (MSN Messenger)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 12 novembre 2020, n° 19-20583 (preuve et atteinte à la vie privée)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 18 octobre 2011, n° 10-26782 (e-mails non identifiés comme étant personnels)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 1er juin 2022, n°21-10.330 (contrôle non porté à la connaissance, justifié par le contexte)