Gérer les abandons de créances
Abandon de créances : qu’est-ce que c’est ?
Un principe. On considère qu’il y a abandon de créances dès lors que votre société, qui détient une créance sur une autre société, décide de renoncer à percevoir tout ou partie des sommes qui lui sont dues. En faisant cela, votre société accorde, en quelque sorte, une aide à l’autre société.
Un acte de gestion normal. Quoiqu’il arrive, et notamment pour des raisons fiscales, l’abandon doit résulter d’un acte de gestion normal de l’entreprise. En clair, votre société doit être en mesure de prouver que l’aide apportée (caractérisée par l’abandon de la créance) a été consentie dans l’intérêt de l’exploitation, et qu’elle trouve son origine dans l’existence d’une contrepartie réelle et suffisante.
Une preuve ? Cette preuve peut être apportée par tous moyens et repose sur une appréciation au cas par cas. Sachez qu’en cas de litige avec l’administration portant sur la détermination du caractère normal ou non de l’abandon consenti, vous aurez la possibilité de saisir la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires pour lui demander son avis.
Le saviez-vous ?
Même s’ils ne sont pas consentis dans l’intérêt de la société, les abandons de créances à caractère commercial accordés à une société faisant l’objet d’un plan de sauvegarde ou placée en redressement judiciaire sont systématiquement déductibles.
2 éléments. Pour qu’il y ait abandon de créances, il faut nécessairement que les 2 éléments suivants soient réunis :
- un élément matériel : votre société doit avoir comptabilisé une créance et la société débitrice doit avoir comptabilisé en charge la somme qui correspond à cette créance. Dans l’hypothèse d’un abandon de cette créance, votre société devra comptabiliser une perte dont le montant correspond au montant de la créance abandonnée, et la société débitrice, quant à elle, devra comptabiliser un profit à hauteur de l’abandon qui lui est consenti ;
- un élément intentionnel : cet élément dépendra de l’examen des circonstances de fait ayant motivé l’abandon réalisé par votre société.
À noter. Les subventions accordées par votre société à une autre société sont assimilées à des abandons de créances. Tel n’est pas le cas, en revanche, des renonciations à recettes.
2 catégories. Il existe 2 catégories d’abandon de créances : les abandons de créances à caractère commercial et les abandons de créances à caractère financier.
Abandon de créances à caractère commercial. L’abandon de créances est à caractère commercial lorsqu’il trouve son origine dans les relations commerciales qui existent entre votre société et la société débitrice, et qu’il est consenti soit pour maintenir des débouchés, soit pour préserver des sources d’approvisionnement. Notez que la circonstance qu'une aide soit motivée par le développement d'une activité qui, à la date d'octroi de cette aide, n'a permis la réalisation d'aucun chiffre d'affaires n’empêche pas que l’aide soit qualifiée de commerciale lorsque les perspectives de développement de cette activité apparaissent, à cette même date, sérieuses.
Exemple. Dans le cadre d’un litige opposant l’administration à une société, le juge de l’impôt a considéré que les sommes versées à une société exploitant un commerce de vente au détail de vêtements par ses 2 fournisseurs, dans le but de conserver les débouchés assurés par l’activité de vente, étaient bien constitutives d’un abandon de créances à caractère commercial.
Abandon de créances à caractère financier. L’abandon de créances est à caractère financier lorsque les éléments suivants présentent un caractère strictement financier :
- nature de la créance (prêt, avances, etc.) ;
- liens existants entre votre société et la société débitrice (hors de toute relation commerciale) ;
- motivations de l’abandon.
Exemple. L’abandon de créances consenti par une société au profit d’une autre société dans le but de mettre un terme aux relations commerciales qu’elles entretenaient est un abandon de créances à caractère financier.
Comment les distinguer ? Dans certains cas, comme par exemple lorsque votre société et la société débitrice entretiennent à la fois des relations commerciales et financières, il peut être délicat de déterminer la nature précise de l’abandon consenti. A cet égard, l’administration précise qu’elle s’attachera principalement aux motivations qui vous ont conduit à abandonner la créance.
Globalement. Retenez que le caractère de chaque abandon résulte de l’examen global de l’ensemble des éléments (de fait ou de droit) relevés au moment où l’aide a été consentie. Il sera tenu compte, par exemple :
- de la nature et du montant de la créance abandonnée ou de la somme versée ;
- des relations qui existent ou qui ont existé entre votre entreprise et l’entreprise débitrice ;
- des motivations vous ayant réellement conduit à abandonner la créance ;
- etc.
Abandon de créance ou provision ? Dans le cadre d’un litige l’opposant à une société, l’administration fiscale lui a refusé la déduction d’une provision pour créance douteuse détenue sur l’une de ses filiales, considérant que dans sa situation, elle aurait dû consentir un abandon de créance, non déductible par nature s’agissant d’une aide financière. Une position non partagée par le juge : puisque l’administration fiscale ne prouve pas que le choix opéré par la société relève d’une gestion anormale, et parce que le risque de non-recouvrement de la créance est avéré au vu de la situation financière de la filiale, le redressement fiscal doit être annulé.
Abandon de créances : quelles conséquences (notamment fiscales) ?
Une charge déductible pour vous. Sous réserve du respect de certaines conditions, l’abandon de créances que vous consentez peut constituer une charge déductible de votre résultat imposable.
À noter. Si vous abandonnez totalement la créance, la charge sera, toutes conditions remplies, totalement déductible. En revanche, si vous consentez un abandon partiel, la charge sera partiellement déductible.
Conditions générales. L’abandon de créances ne sera déductible que si les 2 conditions suivantes sont réunies :
- comme indiqué précédemment, l’abandon doit constituer un acte de gestion normal ;
- la créance qui est abandonnée ne doit pas constituer un élément du prix de revient des participations que vous détenez dans la société débitrice : cette condition ne sera pas remplie lorsqu’une société abandonne sa créance et reçoit dans le même temps, des titres de la société débitrice. Dans cette situation en effet, l’administration considère qu’il n’y a pas d’abandon de créances : la somme abandonnée ayant en réalité servi à acheter des titres dans la société débitrice.
Déductibilité des seuls abandons à caractère commercial. Si les 2 conditions mentionnées plus haut sont remplies, encore faut-il que l’abandon de créances consenti ait un caractère commercial. En effet, seuls les abandons de créances à caractère commercial sont déductibles. Les abandons de créances à caractère financier ne sont, quant à eux, pas déductibles. Un abandon de créance a, par exemple, été jugé commercial parce qu’il a été réalisé par une société au profit d’une filiale avec laquelle la société réalisait l’essentiel de son chiffre d’affaires et pour laquelle elle rendait des prestations de services. Inversement, le caractère commercial d’un abandon de créance a été refusé parce que la société qui a consenti l’abandon ne réalisait qu’un faible chiffre d’affaires avec l’entreprise qui bénéficié de cet abandon.
Intérêt de l’exploitation : une précision. Actuellement, les abandons de créance à caractère commercial accordés par une entreprise à une autre sont déductibles y compris lorsqu’ils ne sont pas accomplis dans l’intérêt de l’exploitation de l’entreprise qui le consent s’ils interviennent dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire, sans conditions ni limites ; corrélativement, un tel abandon est imposable au niveau de l’entreprise qui le reçoit.
Même chose… Le même régime fiscal s’applique aux abandons de créance consentis à compter du 1er janvier 2021 en application d’un accord constaté ou homologué par le juge dans le cadre d’une procédure de conciliation.
Exception. Comme pour tout principe, il existe une exception permettant la déduction des aides à caractère autre que commercial, dès lors qu’elles sont consenties :
- à une entreprise à l’occasion d’une procédure de conciliation résultant d’un accord constaté ou homologué par le Président du Tribunal de commerce ;
- ou à une entreprise à l’encontre de laquelle est ouverte une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou toute autre procédure d’insolvabilité.
Une déduction encadrée. Dans cette hypothèse, la somme abandonnée sera déductible de votre résultat imposable à hauteur :
- du montant de la situation nette négative de la société bénéficiaire de l’abandon ;
- et pour le montant qui pourrait excéder cette situation nette négative, à proportion de la participation au capital de la société bénéficiaire qui est détenue par d’autres sociétés que la vôtre.
Le saviez-vous ?
Il arrive fréquemment que les abandons de créances soient consentis sous réserve d’une « clause de retour à meilleure fortune ». Concrètement, ce type de clause permet à la société qui consent l’abandon de récupérer ultérieurement les sommes qui lui sont dues lorsque la société débitrice est en capacité de rembourser sa dette.
Cette situation, qui s’analyse comme un abandon de créances temporaire, a des conséquences au plan fiscal. L’année de l’abandon, la société qui le consent peut normalement déduire les sommes en question de son résultat imposable. L’année du remboursement, lorsque la clause de retour à meilleure fortune est exécutée, elle devra constater un profit correspondant au montant des sommes effectivement versées.
Un produit pour la société qui bénéficie de l’abandon. En consentant l’abandon de créances, vous constatez une charge déductible de votre résultat imposable. A l’inverse, la société qui bénéficie de l’abandon doit constater un profit correspondant au montant des sommes abandonnées, profit qui doit être pris en compte pour le calcul de son résultat imposable.
À noter. Il existe des règles particulières, non développées ici, qui viennent encadrer certains abandons de créances à caractère financier consentis par les sociétés mères à leurs filiales.
À retenir
Toutes conditions remplies, les abandons de créances à caractère commercial sont considérés comme des charges déductibles du résultat imposable de la société qui les consent. A l’inverse, les abandons de créances à caractère financier ne sont pas déductibles, sauf à ce qu’ils soient consentis à une société faisant l’objet d’une procédure collective (liquidation ou redressement judiciaire, sauvegarde, etc.) ou d’une procédure de conciliation.
- Article 39 du Code général des impôts
- Article L 59 du Livre des procédures fiscales
- Article L611-8 du Code de commerce
- BOFiP-Impôts-BOI-BIC-BASE-50-10
- Arrêt du Conseil d’État du 15 octobre 1982, n°26585 (abandon de créance constituant un élément du prix de revient d’une prise de participation)
- Arrêt du Conseil d’État du 7 février 2018, n° 398676 (abandon de créance à caractère commercial ou financier)
- Loi de finances pour 2021 du 29 décembre 2020, n°2020-1721, article 19 (abandon de créance à caractère commercial déductible même non accompli dans l’intérêt de l’exploitation)
- Jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 30 octobre 2017, n°1607367 (NP) (provision pour créances douteuses vs abandon de créances)
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 8 mars 2022, n°19BX04963 (abandon de créances à caractère financier et procédure de sauvegarde)
- Arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 13 janvier 2023, n° 21NT01223 (abandon de créance à caractère financier non déductible)
- Arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 14 février 2023, n° 21PA03375 (caractère commercial d’un abandon de créance non reconnu en raison d’un faible volume de chiffre d’affaires)
- Arrêt du Conseil d’État du 26 juillet 2023, n° 463846 (aide commerciale et perspectives de développement)
- Arrêt du Conseil d’état, du 29 décembre 2023, n°455810 (aide commerciale et perspectives de développement)
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 19 février 2024, no 23NT00421 (abandon de créance à caractère commercial ou financier)