La démission « équivoque » : soyez vigilant !
La démission équivoque : de quoi s’agit-il ?
Le principe : une « volonté claire et non équivoque ». La démission du salarié doit résulter d’une volonté claire et non équivoque de sa part. Il est d’ailleurs, à ce sujet, préférable que le salarié fasse une lettre de démission (en lettre recommandée avec AR ou remise en mains propres contre signature), dans laquelle il exprime cette volonté de manière incontestable. Le fait de faire figurer dans la lettre de démission des griefs à votre égard peut être révélateur d’une volonté de vous imputer la responsabilité de la rupture du contrat de travail.
Le risque ? Il ne faut jamais présumer de la volonté du salarié de démissionner ! En matière de rupture du contrat de travail, de manière générale, mieux vaut ne pas laisser la place au doute. Par exemple, lorsque le salarié ne se présente plus à son poste à l’issue de sa période de congés, ou après un arrêt de travail pour maladie, ou encore lorsqu’il indique qu’il « ne retournera plus au magasin » sans vraiment dire ou écrire qu’il démissionne, etc., il ne s’agit tout simplement pas d’une démission. Dans ces différents cas de figure, la seule réponse à apporter est d’ordre disciplinaire : si le salarié ne se présente plus à son poste de travail, vous devez lancer une procédure disciplinaire, pouvant mener à son licenciement s’il ne fournit pas de justificatif, par exemple, pour son absence.
En Outre-mer aussi ! Le Code du travail applicable à Mayotte prévoit également que la démission du salarié doit résulter d’une volonté claire et non-équivoque de sa part. Il a ainsi été jugé qu’un salarié n’avait pas démissionné quand bien même ce dernier ne s’est pas présenté à son poste durant plus de 2 ans…
Une démission équivoque ! 2 cas de figure principaux permettent de caractériser une démission équivoque :
- le salarié vous reproche un manquement à vos obligations contractuelles (exemple : absence de versement ou versement partiel de la rémunération initialement convenue) ;
- le salarié vous reproche de mauvaises conditions de travail (exemples : non-respect de votre obligation de sécurité, « pressions » liées à l’atteinte d’objectifs, charge de travail trop importante, etc.).
Le saviez-vous ?
Les circonstances qui entourent la démission, qu’elles soient antérieures ou contemporaines à la démission du salarié, sont appréciées pour déterminer si cette dernière présente un caractère équivoque. Un salarié qui démissionne pour des convenances personnelles peut donc obtenir la requalification de sa démission en prise d’acte, s’il démontre que ce sont ces circonstances qui l’ont poussé à démissionner.
Un vieux conflit ? Il a déjà été jugé que la démission d’un salarié est effectivement équivoque lorsqu’il décide de partir parce qu’après un an de conflit, son employeur n’a pas apporté de réponse aux manquements à la sécurité qu’il lui avait signalés.
Exemple 1. Est également équivoque la démission dont la lettre a été rédigée dans un état de grande fatigue, en même temps qu’un écrit par lequel le salarié reconnait des faits fautifs que lui reprochait son responsable, en présence de ce dernier, sous la menace d’un appel aux services de police et sous sa dictée, et qui a donné lieu à une rétractation 1 semaine plus tard.
Exemple 2. Est également équivoque la démission d’un salarié, empêché de travailler par son employeur qui a décidé de lui retirer, de manière unilatérale, le véhicule de service mis à sa disposition.
Inversement. Sachez qu’il faut que les circonstances de la démission laissent effectivement paraître un doute sur la volonté réelle et non équivoque de démission de la part du salarié. Un salarié démissionnaire s’est ainsi vu refuser le caractère équivoque de sa démission, notamment parce qu’il n’énonçait aucun grief, ni aucune revendication à l’encontre de son employeur dans sa lettre de démission.
Exemple d’une démission non équivoque. Une salariée démissionne puis, 6 mois plus tard, adresse des reproches à son employeur. Ne pouvant prouver les manquements qu’elle allègue et ayant informé ses collègues qu’elle partait pour de nouvelles fonctions, sa démission a été jugée claire et non équivoque.
Erreur de calcul de la prime de 13e mois. Constatant que le non-paiement d’une partie de la prime de 13e mois résultait de l’application d’une base de calcul erronée, ayant privé le salarié d’une somme d’un montant total de 2 061,01 € en 4 ans, le juge a considéré que cet unique manquement n’empêchait pas la poursuite du contrat. La démission du salarié était donc sans équivoque.
Démission équivoque d'un CDD ? Une salariée, qui avait adressé une lettre de démission pour rompre par anticipation son CDD puis s’est rétractée, a considéré qu’il s’agissait d’une démission équivoque. Elle réclamait alors des indemnités à son employeur, qui lui avait retourné ses documents de fin de contrat. Mais le juge a refusé, estimant que sa lettre caractérisait sa volonté claire et non-équivoque de rompre son contrat, alors même qu’elle ne répondait pas aux conditions de rupture anticipée prévues par la Loi.
La démission équivoque : comment réagir ?
Un risque évident. Le salarié qui vous a adressé une lettre de démission « équivoque » peut décider d’engager une action devant le Conseil de prud’hommes, afin d’obtenir que sa « démission » soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Concrètement. Dans ce cas, un mécanisme similaire à ce que l’on peut connaître en matière de prise d’acte se met en place :
- si les juges donnent raison au salarié, sa démission est requalifiée en prise d’acte de la rupture du contrat aux torts de l’employeur : ceci produit les mêmes effets qu’une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse ; le salarié se voit donc allouer les indemnités correspondantes (préavis, congés payés, licenciement et l’indemnité pour irrégularité de procédure de licenciement), ainsi que des dommages et intérêts calculés en fonction de son ancienneté et de la taille de l’entreprise ;
- si les juges donnent tort au salarié, sa démission est confirmée et il n’a droit à aucune indemnité, ni dommages et intérêts.
Comment gérer une démission équivoque ? Vous ne devez surtout pas laisser sa lettre de démission sans réponse. Ceci reviendrait à reconnaître vos torts. Au contraire, dans votre réponse, procédez en suivant les étapes indiquées ci-après :
- répondez point par point aux accusations formulées par le salarié, en reprenant les éléments de faits et l’historique de son dossier ;
- rappelez au salarié que « la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de manière claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail » ;
- indiquez-lui que sa correspondance ne vous permet pas de déduire une manifestation claire et non équivoque de son souhait de démissionner, ce qui vous pousse à lui demander de vous faire parvenir une confirmation écrite de sa volonté de quitter vos effectifs ;
- demandez-lui donc de vous confirmer de manière claire et non équivoque, par écrit, son souhait de démissionner ;
- indiquez-lui qu’à défaut d’obtenir cette confirmation, vous ne pouvez pas le libérer de ses obligations qui découlent de son contrat de travail et que vous n’aurez pas d’autre option que de le mettre en demeure de reprendre son poste.
Et après ? Si le salarié ne répond pas à votre demande, il vous faudra engager une procédure disciplinaire à son égard, qui pourra déboucher sur un licenciement pour faute grave en raison de son abandon de poste.
A retenir
Une « bonne » lettre de démission est une lettre dans laquelle figure le mot « démission » et dans laquelle vous ne pouvez trouver aucun motif de contestation ! Si ce n’est pas le cas, répondez au salarié en lui demandant de vous confirmer de manière claire et non équivoque son souhait de démissionner.
J'ai entendu dire
Un de mes salariés rompt son contrat sur un coup de tête, puis se rétracte. Dois-je le réintégrer dans l’entreprise ?Tout à fait ! La décision de rompre le contrat dans un « mouvement d’humeur » n’est pas une démission. Elle l’est d’autant moins lorsque le salarié se rétracte, surtout si la rétractation a lieu peu de temps après que le salarié ait donné sa démission. Si vous considérez que la démission est valide dans une telle situation, elle peut être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais il a déjà été jugé que la rétractation effectuée 3 jours après la démission d’une salariée ne rendait pas cette démission équivoque parce qu’elle avait tout de même manifesté sa volonté de quitter l’entreprise de façon claire, sérieuse, non-équivoque et réitérée sur plusieurs jours.
- Articles L. 1237-1 et suivants du Code du travail (rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié, démission)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 15 mars 2006, n° 03-45031 (conséquences de la démission équivoque)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 7 février 1990, n°87-45340 (le salarié ne se présente plus après ses congés)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 20 octobre 1982, n°80-41215 (le salarié ne se présente plus après un arrêt de travail)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 2 février 1994, n° 90-42879 (le salarié « ne retournera pas au magasin »)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 4 juin 2009, n°07-45239 (prise en considération des circonstances ayant entouré la démission du salarié)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 7 avril 1999, n° 97-40689 (démission donnée sur un « coup de tête »)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 27 juin 1996, n°94-45400 (rétractation le lendemain de la démission)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 6 mai 2015, n° 14-13347 (exemple appréciation du caractère équivoque ou non d’une démission)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 12 février 2016, n° 14-18888 (démission équivoque donnée sous le coup de la colère et rétractée le lendemain)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 16 juin 2016, n° 14-20376 (une démission « équivoque », qualifiée de prise d’acte, donne lieu à l’indemnité pour irrégularité de procédure de licenciement)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 6 octobre 2016, n° 15-17549 (démission non -équivoque d’un salarié qui ne revient pas après un arrêt de travail)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 8 juin 2017, n° 16-16024 (démission non équivoque malgré des reproches tardifs)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 9 novembre 2017, n° 16-17962 (démission non équivoque)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 16 mai 2018, n° 16-26493 (démission équivoque et vieux conflit)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 23 janvier 2019, n° 17-26794 (exemple de démission équivoque d’un employé de magasin)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 20 novembre 2019, n° 18-25155 (circonstances rendant une démission équivoque)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 4 décembre 2019, n° 18-18092 (création d’entreprise et démission)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 24 juin 2020, n° 18-24975 (rétractation après démission d’un CDD)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 9 septembre 2020, n° 18-24249 (erreur de paie insuffisamment grave)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 25 novembre 2020, n°1 19-12447 (Mayotte et absence injustifiée de 2 ans)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 12 novembre 2020, n° 19-12664 (exemple d’un employeur retirant unilatéralement le véhicule mis à la disposition du salarié)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 19 mai 2021, n° 20-14164 (exemple appréciation d’une démission non équivoque)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 18 mai 2022, n°20-15113 (renoncer à un contrat de travail pour un mandat social n’emporte pas démission)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 11 octobre 2023, no 22-10441 (requalification d’une démission en prise d’acte)