Acheter ou vendre des titres de sociétés : attention à la clause de non-concurrence !
Clause de non-concurrence : quel intérêt ?
Pour la petite histoire… L’actionnaire majoritaire et président d’une société par actions simplifiée (SAS), opérant dans le secteur du bâtiment, vend sa participation à une autre société, intervenant elle aussi dans le même secteur d’activité. L’acte de vente des titres prévoyait une clause de non-concurrence imposée au vendeur, ce qui ne l’a toutefois pas empêché de créer, malgré tout, une entreprise concurrente quelque mois après cette vente…
Une clause de non-concurrence… Elle précise que le vendeur a l’interdiction de faire concurrence, sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, à l’activité de la société dont il a vendu les titres, et ce pour une durée de 4 ans. Le même jour que la vente des titres, le vendeur démissionne de son mandat social et conclut avec l’acquéreur un contrat de travail lui conférant les fonctions de directeur d’une agence.
… non respectée ! Seulement voilà, moins de 12 mois après la vente, le nouveau directeur d’agence démissionne de son poste et crée une nouvelle société intervenant elle aussi dans le secteur du bâtiment. La société l’attaque en justice, lui reprochant d’avoir violé la clause de non-concurrence.
Une clause litigieuse… Dans cette affaire, le juge a simplement relevé que la clause de non-concurrence, si elle est limitée dans le temps, ne l’est pas dans l’espace. Pour lui, cette seule constatation suffit à empêcher la société de s’en prévaloir. La clause de non-concurrence n’étant pas valable, le vendeur a pu créer une nouvelle société concurrente.
Une protection. L’intérêt de la clause de non-concurrence réside dans la protection qu’elle offre à la société dont les titres sont cédés, et par voie de conséquence à l’acquéreur de ces titres, contre une éventuelle concurrence du vendeur, ancien dirigeant et associé : elle aura pour objectif de protéger l’acheteur en interdisant au vendeur d’exercer une activité concurrente à celle développée par la société achetée. Mais pour que cette clause soit valable, encore faut-il qu’elle respecte toutes les conditions requises, pour éviter de rencontrer les mêmes déboires subis par l’acquéreur dans l’affaire précitée…
Et si le vendeur est une société ? De la même manière, une société qui vend une filiale pourra être astreinte au respect d’une clause de non-concurrence. Dans ce cas, et si elle ne respecte pas cette clause, elle pourra être poursuivie en réparation du préjudice éventuellement subi par l’acheteur de la société filiale.
Mais aussi… Si la clause de non-concurrence engage aussi le dirigeant de la société cédante à titre personnel, il pourra aussi être poursuivi personnellement en réparation des conséquences du non-respect de la clause. Mais cela suppose qu’il se rende coupable d’une faute particulièrement grave et détachable de son mandat social.
Clause de non-concurrence : quelles conditions ?
Une clause limitée dans le temps et dans l’espace… Par principe, la clause de non-concurrence imposée au vendeur doit être limitée dans le temps et dans l’espace. Et comme l’ont rappelé les juges dans l’affaire relatée précédemment, ces conditions sont cumulatives. Mais la validité d’une clause de non-concurrence ne s’arrête pas là.
… mais pas seulement ! Voici un cas vécu riche d’enseignements : des associés vendent à un groupe les parts de leur société, dont l’objet est le commerce en gros et au détail de pièces détachées pour automobile, la réparation et la rectification de toutes pièces moteur. Il est prévu une clause de non-concurrence aux termes de laquelle les vendeurs sont seulement autorisés à créer une entreprise de commerces de pièces détachées automobile, de type vente au comptoir, exclusivement destinée aux particuliers (alors même, qu’en pratique, l’essentiel du chiffre d’affaires dans ce genre d’activité se faisait avec des professionnels). Elle prévoyait, en outre, une interdiction de recruter des salariés pendant la durée des accords. Enfin, l’accord prévoyait des contrôles périodiques de leur entreprise (contrôles semble-t-il « inquisitoriaux » pour reprendre les termes mêmes de la décision de justice). Dans cette affaire, le juge a conclu que la clause, manifestement disproportionnée, n’était pas valable : elle apparaît, selon lui, gravement attentatoire à la liberté commerciale.
En pratique. Pour être valable, une clause de non-concurrence ne doit pas seulement être limitée dans le temps et dans l’espace, elle ne doit pas, non plus, être manifestement disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes de la société et à l’objet même du contrat. Une clause de non-concurrence ne doit pas, en définitive, empêcher le cédant d’exercer sa profession, de reprendre ou créer une nouvelle activité : elle doit éviter d’instaurer une concurrence au préjudice de la société dont les titres sont cédés.
Soyez suffisamment précis. Si vous rencontrez un litige dans l’application de cette clause, il reviendra au juge, s’il est saisi, de l'’interpréter. Il est donc conseillé d’être précis et rigoureux dans la rédaction de cette clause pour prévenir toute difficulté. Faites le point avec votre conseil sur ce sujet important, qui ne doit pas être occulté dans le cadre des négociations d'une cession de titres.
Exemple. Un dirigeant a vendu sa société et s’est engagé, dans l’acte, vis-à-vis de l’acquéreur, pendant une durée de 5 ans, à ne pas créer, exploiter, faire valoir, directement ou indirectement, de fonds de commerce identique à celui exploité par la société vendue, ou s’intéresser à l'exploitation d'un tel fonds. Sauf que l’acquéreur a appris que le vendeur, associé avec son fils de longue date dans une autre entreprise exploitant une activité similaire, y avait réalisé un apport en compte courant après la vente. Une violation caractérisée de la clause de non-concurrence, selon l’acquéreur qui réclame au vendeur des dommages et intérêts, mais pas pour le juge : seule une participation active à l’exploitation d’un fonds semblable à celui vendu est ici interdite. Et être déjà associé, avant la vente, dans une entreprise similaire et faire un apport en compte-courant ne caractérisent pas une « participation active ».
Le saviez-vous ?
Une clause de non-concurrence imposée à un ancien associé n’a pas à prévoir de contrepartie financière, sauf si ce dernier est également salarié de la société au moment de la vente.
À ce sujet, il a été jugé qu’un dirigeant qui signe un protocole de vente de ses parts sociales qui contient une promesse d’embauche n’a pas la qualité de salarié. Dès lors, la clause de non-concurrence contenue dans le protocole n’a pas à contenir de contrepartie financière pour être valide.
À retenir
Il faut rappeler que la clause de non-concurrence, stipulée au profit de la société dont les titres sont cédés, doit être limitée dans le temps et dans l’espace. Elle doit également être proportionnée par rapport aux intérêts légitimes de la société. Mais, sauf si le cédant est également salarié de la société, elle n’a pas à prévoir de contrepartie financière.
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 13 décembre 2011, no 10-21653 (clause de non-concurrence disproportionnée)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 12 février 2013, no 12-13726 (clause de non-concurrence non limitée dans l’espace)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 8 octobre 2013, no12-25984 (contrepartie financière)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 16 février 2016, no 14-21557 (non-concurrence et responsabilité personnelle du dirigeant)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 12 décembre 2018, no 17-18640 (exemple de non-violation de la clause de non-concurrence)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 23 juin 2021, no 19-24488 (un dirigeant qui signe un protocole de vente de ses parts sociales qui contient une promesse d’embauche n’a pas la qualité de salarié)