Agent immobilier et devoir de conseil : illustrations pratiques
Devoir de conseil : de quoi s’agit-il ?
Un devoir de conseil… Concrètement, il s’agit d’un devoir d’information qui consiste à attirer l’attention de votre interlocuteur sur un sujet bien précis (voir les exemples ci-dessous). L’information transmise doit être loyale et claire.
… à l’égard de qui ? Vous êtes, bien sûr, redevable d’un devoir de conseil à l’égard de votre client, c’est-à-dire de la personne qui vous a donné un mandat pour vendre, acheter ou encore louer un bien.
Attention ! Vous êtes également redevable d’un devoir de conseil à l’égard de la personne qui ne vous a pas mandaté, dès lors que vous procédez à la rédaction du compromis de vente.
Tenir compte des circonstances. Votre devoir de conseil va être plus ou moins étendu selon les cas. Ainsi, même si vous êtes redevable d’un devoir de conseil à l’égard de tous vos clients, même professionnels, cette obligation pourra être appréciée différemment et notamment être moins étendue si votre client a, par exemple, une expérience des affaires.
Conseil juridique ? En tant que rédacteur du compromis de vente, vous n’êtes pas tenu aux obligations d'un conseil juridique ou financier, ni investi d'une mission d'expert. Ainsi, un agent immobilier ne commet aucune faute s’il n’a pas vérifié l'existence d'une stricte concordance du classement de l'hôtel avec la réglementation se rapportant à ce classement.
Professionnel de la construction ? L’agent immobilier n’est pas non plus un professionnel de la construction. Sachez qu’à ce titre, un agent immobilier ne peut pas être condamné au titre de son devoir de conseil pour ne pas avoir vérifié si les travaux effectués sont conformes à ceux prescrits dans le permis de construire dont il ignorait l’existence.
Pour la petite histoire. Il a été jugé qu’un agent immobilier n’était pas responsable de l’aléa locatif auquel peut se trouver confronté l’acheteur d’un bien immobilier qu’il a orienté.
Dans cette affaire, l’acheteur d’un appartement situé en résidence locative estimait avoir été mal conseillé par l’agent immobilier, puisque la demande locative avait nettement baissé depuis l’achèvement de son bien.
La réponse du juge. Le juge a écarté toute responsabilité de l’agent immobilier en estimant :
- que l’acheteur ne pouvait se méprendre sur la portée de la brochure promotionnelle qu’il a reçue avant l’achat, qui n’était destinée qu’à faire état du potentiel locatif du bien sans garantir le taux de rentabilité et la sécurité de l’investissement, dont la part d’aléa demeurait irréductible ;
- que ni le vendeur ni l’agent immobilier n’étaient en mesure de prévoir la défaillance de l’exploitant locataire de l’appartement avant le déclenchement, par la suite, de la crise économique ayant touché le secteur d’activité des résidences hôtelières.
Devoir de conseil : illustrations pratiques
Illustrations. Vous trouverez ci-dessous quelques exemples qui permettent d’illustrer votre devoir de conseil.
Au préalable. Vous devez tout d’abord vous tenir informé de l’évolution du droit en vigueur et notamment faire attention aux impacts sur votre activité de toute nouvelle Loi ou décision de jurisprudence.
Visitez le bien ! Vous devez vous assurer que la description du bien que vous indiquez sur le compromis de vente est conforme à la réalité. Pour cela, visitez le bien mis en vente ! Cette visite peut également vous permettre d’attirer l’attention du vendeur ou des acquéreurs sur des points qui vous auraient échappé si vous n’aviez pas visité le bien.
Vérifiez vos informations ! Vous devez ensuite vérifier les déclarations des clients et surtout celles qui conditionnent la validité ou l’efficacité du compromis rédigé. Un agent immobilier a notamment été condamné pour ne pas avoir vérifié les déclarations de son client alors qu’il pouvait aisément le faire en consultant Infogreffe ou le Bodaac.
Donnez vos informations… par écrit ! Un agent immobilier a été condamné pour ne pas avoir donné une information importante à un client. Pourtant, le professionnel de l’immobilier assurait l’avoir donné par oral au client. Pour éviter des problèmes de preuve, conservez un écrit prouvant que vous avez délivré toutes les informations en votre possession.
Tenez compte des projets d’urbanisme ! Une vente réalisée par l’entremise d’un agent immobilier a été annulée parce que les vendeurs n’avaient pas informé les acquéreurs de la construction à venir d’une rocade à 50 mètres de la maison vendue. Les vendeurs avaient alors considérés que l’agent immobilier avait manqué à son devoir de conseil. Ce que ce dernier avait nié : les vendeurs n’avaient aucunement besoin de son conseil pour se rendre compte que leur silence délibéré trompait les acheteurs. De plus, il ne pouvait rien leur apprendre qu'ils ne sachent déjà puisqu’ils étaient au courant de l’existence de la rocade à venir. Enfin, mandataire des vendeurs et non des acquéreurs, il ne pouvait agir contre leurs intérêts et contre leur volonté de dissimuler la construction de la rocade en la révélant aux acquéreurs. Mais le juge a donné raison aux vendeurs : au titre de son devoir de conseil, l’agent immobilier aurait dû informer les vendeurs de la nécessité de porter à la connaissance des acquéreurs l’état d’avancement du projet de rocade. Ne l’ayant pas fait, il a effectivement manqué à son devoir de conseil.
Limiter votre devoir d’information ? Un juge a considéré qu’un agent immobilier n’avait pas manqué à son devoir de conseil, en n’informant pas l’acquéreur de la présence d’un projet d’éoliennes près de la maison achetée. Selon l’acquéreur, au titre des « projets d’urbanisme » et des « modifications structurantes », l’agent immobilier aurait dû l’informer de l’existence de ce projet. « Faux » a répondu l’agent immobilier : les informations dont il devait informer l’acquéreur au titre des « projets d’urbanisme » et des « modifications structurantes » étaient strictement énumérées. Or, aucun ne mentionnait les projets d’éoliennes. Dès lors, il n’avait pas manqué à son devoir d’information. Ce qu’a confirmé le juge.
A noter. Dans la pratique, il est bien sûr conseillé d’avertir les acquéreurs des projets de parcs éoliens se trouvant à proximité des biens que vous leurs faites visiter. Pour en avoir connaissance, il faut que vous consultiez (et maitrisiez) le plan local d’urbanisme !
Prix. Vous devez être loyal lorsque vous donnez une information et notamment en ce qui concerne le prix. Ainsi, un agent immobilier n’a pas pu percevoir ses honoraires car il n’avait pas donné une information loyale sur la valeur du bien alors que le prix demandé était manifestement sous-évalué sans raison. De la même manière, un agent immobilier a récemment été condamné au versement d’une indemnisation pour avoir gonflé l’estimation de la valeur d’une maison à vendre dans le but de convaincre les vendeurs d’acquérir un autre bien.
Le saviez-vous ?
Vous n’avez pas à vérifier la solvabilité de l’acquéreur. Par contre, si vous savez ou estimez que l’acquéreur n’a pas les fonds nécessaires pour acheter le bien, vous devez lui conseiller d’insérer une clause suspensive (par exemple, une clause selon laquelle le vendeur doit au préalable vendre sa propre maison pour acheter le bien qui l’intéresse ou encore, une clause suspensive d’obtention d’un prêt bancaire).
Côté vendeur, veillez à lui conseiller de prendre des garanties ou le mettre en garde contre le risque d'insolvabilité de l'acquéreur si vous savez ou estimez que celui-ci n’a pas les fonds nécessaires pour acheter le bien. Et pensez à conserver tous justificatifs prouvant que vous avez accompli votre devoir de conseil...
Destination finale. Vous devez vous assurer que le bénéficiaire de l’opération pourra réaliser son projet final. Pour cela, procédez à toutes les démarches nécessaires et notamment consultez le titre de propriété du vendeur.
Présence d’un notaire. Sachez que vous êtes tenu à un devoir de conseil, même en présence d’un notaire. C’est ainsi qu’un agent immobilier a engagé sa responsabilité : il n’avait pas vérifié que le bien était conforme à la destination finale souhaitée par les acquéreurs. Il a été condamné alors même que le notaire avait fait signer une clause de reconnaissance de conseil aux acquéreurs.
Combles aménagés. La mention de l’existence de combles aménagés ne doit pas être sous-estimée. Sachez qu’un agent immobilier a été condamné pour ne pas s’être assuré que la résistance du plancher était suffisante pour pouvoir aménager les combles sans faire de travaux supplémentaires.
Vices cachés. Vous n’êtes, bien sûr, pas tenu de vérifier l’absence de vices cachés non-apparents.
Si vous rédigez un compromis... Lorsque vous rédigez un compromis de vente, vous êtes tenu à un devoir d’efficacité de l’acte. C’est à ce titre qu’un agent immobilier a été condamné à des dommages-intérêts : il avait inscrit une mauvaise superficie du bien vendu sur le compromis et oublié l’existence d’une servitude, erreurs qui auraient été évitées s’il avait consulté le titre de propriété du vendeur.
A retenir
Le devoir de conseil de l’agent immobilier va être plus ou moins étendu selon le dossier qui se présente à lui (nature du bien vendu, volonté des parties, connaissance du client, etc.). De plus, l’agent immobilier n’est pas un conseil juridique ni un professionnel de la construction : ce sont des éléments qui limitent d’autant plus son devoir de conseil.
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 21 janvier 2016, n° 14-12144 (destination finale de l’immeuble-condamnation de l’agent immobilier)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 14 janvier 2016, n° 14-26474 (devoir d’efficacité de l’acte rédigé)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 25 novembre 2015, n° 14-22102 (l’agent immobilier n’est pas un professionnel de la construction)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 16 octobre 2013, n° 12-24267 (vérification des informations données par le client)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 16 janvier 2007, n° 04-12908 (vices cachés)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 7 mars 2006, n° 04-10101 (connaître le droit positif-jurisprudence nouvelle)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 21 juin 2005, n° 02-18898 (connaître le droit positif-nouvelle loi)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 29 novembre 2005, n° 08-14628 (devoir de conseil même à l’égard du client professionnel)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 29 novembre 2005, n° 02-15021 (combles aménagés)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 15 juillet 1999, n° 97-18984 (conseil d’insertion clause suspensive)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 25 novembre 1997, n° 9612325 (devoir de conseil étendue de l’agent immobilier-rédacteur)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 26 mars 1996, n° 94-12228 (vérification de la possibilité de la destination finale du bien)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 13 mai 1997, n° 94-19614 (l’agent immobilier n’est pas un conseil juridique)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 10 février 1989, n° 85-14435 (expérience en affaires du client)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 30 octobre 1985, n° 84-12326 (information loyale sur le montant du prix)
- Arrêt de la Cour d’appel de Nancy, du 1er mars 2000, n° 99-01804 (visiter l’immeuble vendu)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 29 juin 2017, n° 16-19337 (pas de manquement au devoir de conseil-informations strictement limitées)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 29 juin 2017, n° 16-18087 (devoir au conseil manqué-information donnée sans écrit)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 9 janvier 2019, n° 18-10245 (manquement au devoir de conseil-construction d’une rocade)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 11 décembre 2019, n° 18-24381 (devoir de conseil manqué-mise en garde contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur)
- Arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 25 mars 2021, n°19/01978 (NP) (agent immobilier condamné pour une mauvaise estimation du prix d’une maison)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 8 juillet 2021, n° 20-11571 (responsabilité de l’agent immobilier et aléa de l’investissement locatif)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile, du 1er juin 2022, n°21-12366 (manque de rentabilité d'un investissement locatif : absence de responsabilité du vendeur et de l'intermédiaire professionnel)