Comment réagir face à l’insuffisance professionnelle d’un salarié ?
L’insuffisance professionnelle : qu’est-ce que c’est ?
Une définition. L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité d’un salarié à réaliser ses missions de travail correctement. Bien souvent, il s’agira d’un manque de compétences.
Mais attention… L’insuffisance doit avant tout reposer sur des éléments objectifs quantitatifs comme des erreurs récurrentes, négligences ou qualitatifs comme le manque de compétences techniques, les difficultés ou l’incapacité à assumer les responsabilités du poste occupé.
Un exemple à ne pas suivre… Un employeur a licencié un salarié pour insuffisance professionnelle mais a entamé la procédure 8 jours après que ce dernier l’a informé d’une dégradation de son état de santé en lien avec son travail. Faute de justifier de l’insuffisance professionnelle du salarié, et en en raison de la proximité entre les 2 événements, le salarié semblait en réalité victime d’une discrimination en raison de son état de santé. Son licenciement est donc nul.
Comment se caractérise-t-elle ? Le salarié qui, malgré les efforts de formation et d’adaptation de l’employeur, ne parvient pas à mener ses missions, qui fait preuve d’un manque total d’autonomie est en situation d’insuffisance professionnelle.
L’insuffisance professionnelle : qu’est-ce que ce n’est pas ?
Il ne faut pas confondre… L’insuffisance professionnelle se distingue de l’insuffisance de résultats, laquelle repose sur des éléments chiffrés et non atteints. Généralement, ces résultats sont prévus dans le contrat de travail par une clause d’objectifs ou bien ils sont fixés unilatéralement par l’employeur. Le fait de ne pas atteindre les résultats fixés ne peut constituer à lui seul un motif de licenciement. L’insuffisance de résultats doit provenir d’une carence du salarié (incompétence, incapacité) pour caractériser l’insuffisance professionnelle.
Même si… Que le licenciement soit motivé par une insuffisance professionnelle ou de résultats, il ne s’agit pas d’un motif disciplinaire.
Attention. L’insuffisance professionnelle implique que le salarié n’a pas la volonté de mal faire. Ainsi, le juge estime qu’un licenciement prononcé non pas pour insuffisance professionnelle mais pour un motif disciplinaire lorsque la lettre de licenciement reproche au salarié, par exemple, un manquement, résultant de sa mauvaise volonté, aux règles de sécurité est un licenciement disciplinaire. Dès lors, qu’il a été prononcé sans respecter la procédure prévue en ce cas par le règlement intérieur, il est sans cause réelle et sérieuse.
Une vérification a posteriori. En cas de litige, les juges rechercheront toujours à vérifier que les objectifs fixés étaient réalistes et réalisables puis, ils vérifieront si l’absence de résultats provient d’un manque de compétences ou d’une faute professionnelle (salarié ne s’impliquant pas dans son travail ou ne tenant pas compte des remarques de sa hiérarchie…).
Le saviez-vous ?
Une clause contractuelle ne peut pas expressément prévoir que le contrat sera rompu si le salarié n’atteint pas ses objectifs. Il est en effet illicite de se pré-constituer des motifs de licenciement. Une telle clause est inopposable au salarié et un licenciement engagé sur ce seul fondement serait jugé sans cause réelle et sérieuse. Cependant, l’employeur conservera la faculté de justifier une mesure de licenciement si celle-ci se fonde sur d’autres éléments, objectifs et précis.
Ne pas confondre non plus… L’insuffisance professionnelle n’est pas une faute professionnelle, même si la frontière entre l’insuffisance professionnelle et la faute est parfois délicate. Le juge rappelle régulièrement que « l’insuffisance professionnelle, sauf mauvaise volonté du salarié, ne constitue pas une faute grave ».
Même si… Bien sûr il est possible de parler d’erreurs dans les deux hypothèses mais l’origine et les conséquences sont bien distinctes. Lorsque l’on évoque une faute du salarié, il existe un caractère intentionnel ou conscient du salarié : ce dernier a les capacités/compétences mais, pour de multiples raisons (personnelles, conflictuelles…), il n’effectue pas ou plus son travail de manière satisfaisante. Il se « laisse aller » ou bien devient négligeant.
Le saviez-vous ?
L’insuffisance passagère ne peut que rarement constituer un motif de licenciement.
Cela pourra par exemple être le cas d’un salarié ayant toujours donné satisfaction et qui soudainement commet des erreurs. Si le salarié a une ancienneté importante et un parcours professionnel sans failles, il faudra rester prudent et ne pas agir trop rapidement. Cela peut n’être que passager. Naturellement, si la qualité du travail se dégrade réellement et durablement, il sera toujours possible d’envisager un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Licenciement pour insuffisance professionnelle : quelles conséquences ?
Des enjeux… L’insuffisance professionnelle peut constituer un motif de licenciement. Toutefois, le licenciement ne reposera sur une cause réelle et sérieuse que si le motif invoqué est précis et matériellement vérifiable.
C’est-à dire… L’incompétence soulevée devra donc être justifiée par les éléments concrets et objectifs ci-dessus caractérisés. L’insuffisance professionnelle doit donc être inhérente au salarié et non imputable à l’employeur. A défaut, le licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Un recrutement adapté. Un licenciement ne saurait être fondé sur l’insuffisance professionnelle d’un salarié si celui-ci a été recruté par un employeur conscient qu’il ne disposait ni des compétences ni des qualifications requises pour occuper le poste ou qui n’a pas laissé le temps suffisant au salarié pour s’adapter à son poste de travail.
Une obligation de formation. Un salarié ne saurait par ailleurs être reconnu incompétent si son employeur n’a pas lui-même respecté ses obligations en matière de formation professionnelle, étant entendu, pour cela, que la formation doit être en lien avec les fonctions exercées par le salarié. Toutefois, les échecs répétés à une formation que l’employeur doit obligatoirement organiser justifient une insuffisance dans l’accomplissement des tâches pour lesquelles la formation est requise.
Des tâches adaptées. L’insuffisance professionnelle ne pourrait être fondée sur les mauvais résultats d’un salarié amené par son employeur à effectuer des tâches étrangères à celles qui lui ont été confiées à l’origine et pour lesquelles il n’aurait reçu aucune formation. Il en serait de même s’il s’avérait que l’employeur était à l’origine d’une charge excessive de travail de son salarié.
Le saviez-vous ?
L’employeur peut se prévaloir de l’insuffisance d’un salarié qui mentionne une compétence spécifique ou la maîtrise d’une matière sur son CV. En effet, sur la base de ces allégations, l’employeur est fondé à estimer que le salarié est opérationnel et compétent et qu’il n’a donc pas à être formé sur ces techniques.
L’ancienneté : un effet sur l’insuffisance ? Un salarié, licencié pour insuffisance professionnelle, conteste son licenciement : il estime que son « insuffisance » est imputable à son employeur qui n’a jamais contrôlé son travail ou fait la moindre observation en 6 ans d’ancienneté. Mais le juge a constaté que les carences qu’on lui reprochait étaient établies et imputables au salarié. Il a donc validé ce licenciement.
Une procédure. Lorsque vous envisagez un licenciement du fait de l’insuffisance professionnelle du salarié, vous devrez respecter la procédure de licenciement pour motif personnel. C’est-à-dire que vous devez procéder à sa convocation puis à l’entretien préalable et à la notification du licenciement.
Des indemnités ? Dès lors qu’il aura acquis 8 mois d’ancienneté, le salarié aura droit à une indemnité de licenciement.
Un préavis ? Le salarié pourra être amené à effectuer son préavis compte-tenu des dispositions légales ou conventionnelles applicables, sauf dispense demandée par l’employeur (dans ce cas une indemnité compensatrice de préavis sera versée) ou par le salarié (avec accord de l’employeur et sans obligation de verser l’indemnité compensatrice dans ce cas).
A retenir
Lorsque l’insuffisance est évoquée, la mise en relation avec le contrat de travail est essentielle. Il pourra être question de résultats et ceux-ci devront avoir été fixés précisément : cela permettra non seulement de vérifier le caractère réalisable de ceux-ci mais surtout de pouvoir attester qu’ils n’ont pas été atteints. De même, lorsque le contrat prévoit une telle clause, une révision des objectifs doit avoir été convenue. Vous devrez donc pouvoir rapporter la preuve des nouveaux objectifs fixés. A défaut, les juges considèreront que le contrat initial fait force de loi entre les parties.
Afin d’apprécier les tâches ou responsabilités liées à un poste de travail, nous ne pouvons que vous recommander de les lister, de manière non exhaustive, dans le contrat de travail ou dans une fiche de poste annexée au contrat. Ainsi, vous disposerez d’une base légale et objective pour fonder votre licenciement.
J'ai entendu dire
Certaines conventions collectives peuvent-elles interdire de licencier pour insuffisance professionnelle ou insuffisance de résultats ?Oui. Il existe des conventions collectives qui prévoient des limitations par le recours à des procédures spécifiques (entretien individuel, faculté pour le salarié dont le licenciement est envisagé de réunir un conseil interne) ou encore par le recours à des reclassements internes. C’est le cas par exemple de la Convention collective nationale des sociétés d'assistance, de la convention collective nationale des sociétés d'assurances ou encore de la Convention collective nationale de la banque. Avant toute chose, vous devrez consulter la convention collective applicable à votre entreprise pour vérifier si elle contient des dispositions particulières à ce sujet.
Si vous prononcez un tel licenciement au mépris des mesures favorisées par la convention collective, il pourrait être privé de cause réelle et sérieuse.
Est-il possible de licencier pour insuffisance professionnelle un salarié en arrêt maladie ?
Par principe, il est possible de licencier un salarié en arrêt maladie si le licenciement est étranger à l’état de santé du salarié, et pour autant que l’arrêt ne soit pas lié à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Toutefois, certaines conventions collectives peuvent l’entraver. C’est notamment le cas de la convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile, qui aligne les conditions de licenciement du salarié en arrêt maladie sur celles du licenciement du salarié en arrêt de travail pour maladie professionnelle ou accident de travail.
Concrètement, elle permet à l’employeur de licencier un salarié en arrêt maladie qu’en cas de faute grave ou lourde de ce dernier, ou en cas d’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l’accident ou à la maladie (conditions que ne remplit pas l’insuffisance professionnelle).
- Articles L 1232-1 et suivants du Code du travail (procédure de licenciement pour motif personnel)
- Article L 6321-1 Code du travail (obligation de formation)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 3 avril 2001, n° 98-44069 (insuffisance de résultats)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 4 décembre 2013, n°12-23063 (exemple insuffisance professionnelle)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 20 février 1990, n° 87-43411 (exemple insuffisance professionnelle)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 31 janvier 2006, n° 05-42130 (insuffisance professionnelle et compétences dans le CV)
- Convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000
- Convention collective nationale des sociétés d'assurances du 27 mai 1992
- Convention collective nationale des sociétés d'assistance du 13 avril 1994
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 16 mai 2018, n° 16-25552 (caractéristique de l’insuffisance professionnelle)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 13 juin 2018, n° 17-17321 (insuffisance professionnelle reconnue malgré une ancienneté de 6 ans)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 26 septembre 2018, n° 17-16478 (insuffisance professionnelle et mauvaise adaptation du salarié à ses fonctions)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 6 mars 2019, n° 17-20886 (respect de l’obligation de formation : formation en lien avec les fonctions exercées)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 27 mars 2019, n° 17-27047 (insuffisance professionnelle et arrêt maladie)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 5 juin 2019, n° 18-10050 (échecs répétés à une formation et insuffisance professionnelle)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 5 février 2020, n° 18-22399 (insuffisance professionnelle non caractérisée et discrimination)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 24 juin 2020, n° 19-11736 (insuffisance professionnelle et insuffisance de résultats)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 25 novembre 2020, n°19-14549 (insuffisance professionnelle et mauvaise volonté délibérée)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 3 février 2021, n° 19-24502 (insuffisance professionnelle et insuffisance de résultats)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 10 janvier 2024, no 22-19857 (l’insuffisance professionnelle et principe de faveur)