Contrôle des documents comptables : jusqu’où peut aller l’administration ?
Droit de communication de l’administration : qui est concerné ?
Un droit que vous devez connaître. Comme vous le savez, le système fiscal français est essentiellement déclaratif, de sorte que l’impôt est calculé et établi sur la foi de déclarations souscrites par les contribuables, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. Lorsqu’elle contrôle la situation fiscale d’une entreprise, l’administration doit pouvoir accéder à l'ensemble des documents détenus par cette dernière. Par le biais de son droit de communication, son pouvoir est même plus étendu…
Un pouvoir étendu. Le droit de communication va permettre à l’administration, non seulement de prendre connaissance des documents comptables de votre entreprise, mais aussi de recueillir auprès de tiers tous les renseignements qui lui permettront de recouper, et ainsi de vérifier, les déclarations que vous avez déposées. Elle pourra utiliser les renseignements obtenus pour contrôler tous les impôts et taxes à la charge de toute autre personne, le cas échéant.
Qui est concerné ? Ce droit de communication peut être utilisé par l’administration (sur place ou par correspondance) auprès d’un grand nombre de personnes et d’organismes. Non seulement elle pourra s’adresser aux entreprises (les sociétés, les commerçants, les artisans, les membres de professions non commerciales, les sociétés civiles, etc.), mais elle pourra aussi solliciter les banques, les compagnies d’assurance, les associations, les opérateurs de téléphonie, les fournisseurs d’accès à Internet, les tribunaux, les organismes de sécurité sociale, les administrations publiques, la société en charge du suivi et du contrôle des opérations relatives au régime de l'épargne-logement, les casinos, etc.
Le saviez-vous ?
L’administration peut également s’adresser à des personnes qui ne sont légalement pas soumises au droit de communication. Un agent de l’administration peut ainsi demander des renseignements à un salarié de l’entreprise, mais il n’est pas tenu d’y répondre.
Attention. Depuis le 1er janvier 2018, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’administration fiscale a la possibilité de s’adresser aux institutions financières, aux professionnels réglementés (avocats, huissiers, etc.), aux casinos, etc. pour obtenir communication des informations détenues par ces personnes conformément à leurs obligations de vigilance. Toute personne qui s’oppose à ce droit de communication s’expose à une amende de 10 000 €.
Concernant les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d’accès internet. Pour garantir le respect de la vie privée des personnes, le champ d'application de ce droit de communication est limité aux infractions considérées comme les plus graves, susceptibles de mener à l'engagement de poursuites pénales à l'encontre de leur auteur pour délit de fraude fiscale.
Une procédure. Ce droit de communication ne peut être exercé que par des fonctionnaires titulaires appartenant à des corps de catégorie A ou B, habilités à cet effet par le directeur (ou son adjoint) d’une direction régionale ou départementale des finances publiques, d’un service à compétence nationale ou d’une direction spécialisée de contrôle fiscal, dans lequel ils sont affectés.
Une autorisation préalable. La mise en œuvre de ce droit de communication doit faire l’objet d’une autorisation préalable par un contrôleur des demandes de données de connexion.
Une destruction. Les informations communiquées à l’administration dans cette situation sont détruites au plus tard à l’expiration d’un délai d’1 an suivant leur réception, sauf si elles ont servi à fonder un redressement. Dans ce cas, les données doivent être détruites à l’expiration des délais de recours, lorsque les redressements prononcés seront devenus définitifs.
Pouvez-vous vous y opposer ? Une entreprise est légalement tenue de répondre aux demandes de l’administration dans le cadre de ce droit de communication : c’est pourquoi l’absence de tenue, la destruction ou le refus de communiquer un document soumis au droit de communication entraîne l’application d’une amende de 10 000 €. Si votre refus s’apparente à une opposition à contrôle fiscal, vous risquez l’application de sanctions fiscales particulièrement lourdes. Il est donc conseillé de répondre aux sollicitations de l’administration…
Concernant les travailleurs indépendants. Jusqu’à présent, les organismes de sécurité sociale devaient communiquer à l'administration fiscale, avant le 30 juin de chaque année, les éléments nécessaires à l'établissement de l'impôt sur le revenu des travailleurs indépendants placés sous le régime fiscal de la micro-entreprise ayant opté pour le versement libératoire.
Désormais, cette communication vise tous les travailleurs indépendants placés sous le régime auto-entrepreneur, qu’ils aient ou non opté pour le versement libératoire à raison de toutes les impositions dues par eux.
Concernant les particuliers employeurs. Depuis le 1er janvier 2021, les organismes de sécurité sociale doivent communiquer à l’administration fiscale, avant le 1er mars de chaque année, les éléments dont ils ont connaissance et qui sont nécessaires à l’établissement et au contrôle de l’impôt sur le revenu des particuliers employeurs d’un salarié à domicile. Sont visées les données déclarées par les particuliers employeurs qui utilisent des dispositifs simplifiés (comme par exemple le Cesu ou Pajemploi) ou qui ont recours à des organismes ou à des associations pour déclarer les rémunérations versées à leurs salariés à domicile.
Droit de communication de l’administration : quels documents sont visés ?
Vos documents comptables. L’administration peut, d’une manière générale, exercer son droit de communication à propos de vos documents comptables et tous documents relatifs à votre activité professionnelle. Sont ainsi visés l’ensemble des documents et registres dont la tenue est rendue obligatoire par la règlementation. Mais l’administration pourra aussi demander la communication de tous autres documents pouvant justifier le montant des recettes et des dépenses.
Concrètement. L’administration pourra notamment demander la consultation :
- de votre livre-journal qui enregistre, opération par opération et jour par jour, les mouvements affectant le patrimoine de l'entreprise ;
- de votre grand-livre sur lequel les écritures du livre-journal doivent être portées et ventilées selon le plan de comptes du commerçant ;
- des registres de transfert d'actions et d'obligations ;
- des feuilles de présence aux assemblées générales ;
- des procès-verbaux des conseils d'administration et des conseils de surveillance ;
- des rapports des commissaires aux comptes ;
- de tous les documents annexes, pièces de recettes et de dépenses ;
- de vos correspondances reçues et des copies de lettres envoyées.
Conseil. L’administration n’est pas non plus libre de tout faire : elle ne pourra justifier un redressement fiscal, à partir de documents qu’elle a obtenu dans le cadre de son droit de communication, que si ces documents sont effectivement de nature à justifier le montant des recettes et/ou des dépenses. L’administration a ainsi vu une procédure jugée irrégulière parce qu’elle a demandé une copie des correspondances commerciales et des croquis et des plans de produits fabriqués et commercialisés par une entreprise, sans expliquer en quoi ces différents documents étaient de nature à justifier la comptabilité de l’entreprise.
Le saviez-vous ?
Il faut rappeler que l’ensemble des documents sur lesquels peut s’exercer le droit de communication doit être conservé pendant un délai d’au moins 6 ans. Cela étant, il ne s’agit que d’un délai minimum puisque la règlementation commerciale implique de conserver vos documents comptables pendant au moins 10 ans.
Pour les comptabilités informatisées. L’administration pourra également avoir accès à la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l’exécution des traitements, en vue, notamment, de procéder aux tests nécessaires à la vérification des conditions d’enregistrement et de conservation des écritures.
Des investigations sont forcément limitées. L’administration recommande que les interventions obéissent strictement aux règles suivantes :
- le droit de communication doit être limité au relevé passif d'écritures comptables ou à la copie de documents ;
- l’agent qui intervient doit s'abstenir de tout examen critique de la comptabilité (il n’a pas le droit de procéder à des recherches de sincérité, d'exactitude des écritures comptables ou de leur caractère probant) : un tel examen suppose l’envoi préalable d’un avis de vérification et le respect de toutes les règles de procédure régissant les vérifications de comptabilité.
Droit de communication de l’administration : modalités pratiques
L’administration prévient, en général. Bien qu’elle ne soit pas, légalement, tenue de le faire, l’administration vous prévient, généralement, de son intention d'user du droit de communication en vous remettant un avis de passage (imprimé n° 3925). L’objectif est, ici, de ne laisser subsister aucun doute sur l’esprit et la nature de l’intervention chez vous d’un agent de l’administration : il ne s’agit pas d’un contrôle fiscal !
A noter. L’administration peut obtenir des renseignements sur des informations qui concernent des personnes non nommément désignées (sont visées par ce droit de communication les opérateurs de téléphonie, les fournisseurs d’accès à Internet, etc.). La décision de mettre en œuvre le droit de communication est prise, dans ce cas, par un agent ayant au moins le grade d’inspecteur divisionnaire des finances publiques ou d’inspecteur régional des douanes. En outre, la demande de l’administration doit comporter les informations suivantes :
- la nature des relations juridiques entre la personne à qui sont demandées les informations et celle concernée par cette demande ;
- la période sur laquelle porte la recherche de l’information (sans qu’elle puisse excéder 18 mois) ;
- des informations objectives permettant de cibler la recherche (situation géographique, seuil, mode de paiement).
Où, quand, comment ? Les agents de l’administration peuvent prendre connaissance des documents sur place (lieux où sont détenus les documents comptables) ou par correspondance, y compris électronique (par mail). Lorsqu’ils se rendent sur place, il est recommandé aux agents d’intervenir pendant les périodes et heures d’activité de l’entreprise. L’agent peut demander que lui soient fournies des photocopies des documents consultés.
Le saviez-vous ?
Lorsqu’il est demandé des photocopies de documents, vous pouvez solliciter le remboursement des frais exposés sur la base forfaitaire de 0,46 € TTC le feuillet (ce coût englobant tous les frais de recherche éventuelle).
A noter. Les agents de l’administration disposent d’une compétence nationale pour exercer le droit de communication, et non pas seulement limitée au seul ressort territorial de la Direction au sein de laquelle ils sont affectés.
A noter (bis). Les informations communiquées sont conservées par l’administration pendant 3 ans (sauf si elles sont communiquées dans le cadre d’un contrôle fiscal, auquel cas elles sont conservées jusqu’à l’expiration des voies de recours).
A retenir
Une entreprise est légalement soumise au droit de communication de l’administration aux termes duquel cette dernière peut demander la communication de tout document comptable, pièce de recette et de dépense, etc. Vous ne pouvez pas vous soustraire à cette obligation, sous peine de l’application d’amende.
Dans le cadre de ce droit de communication exercé dans votre entreprise, l’agent de l’administration n’a pas le droit de procéder à un examen critique de votre comptabilité : s’il veut le faire, il doit diligenter une vérification de comptabilité et respecter les règles de procédures prévues à cet effet.
J'ai entendu dire
Lorsque l’administration sollicite auprès d’un tiers des documents nous concernant, doit-elle nous en informer ?Non, elle n’est pas obligée de vous en informer. Toutefois, si elle utilise les renseignements et/ou documents ainsi obtenus pour procéder à un redressement fiscal de votre entreprise, elle doit obligatoirement vous informer de la teneur et de l’origine de ces renseignements et vous en communiquer une copie, gratuitement, si vous en faites la demande. Un juge a, en effet, récemment rappelé que l’administration n’avait pas le droit d’exiger du contribuable qu’il prenne en charge les frais d’envoi des documents, même lorsque le dossier dont la transmission est demandée est particulièrement volumineux.
Ma société se voit réclamer le paiement d’un supplément d’impôt en sa qualité de codébitrice solidaire de la société effectivement contrôlée. Dans cette situation, puis-je demander à avoir une copie des documents ayant fondé le redressement ?
Si votre société est effectivement appelée en paiement d’un redressement fiscal en sa qualité de codébitrice de la société contrôlée, sachez que vous aussi vous pourrez demander (et obtenir) communication d’une copie des documents ayant fondé le redressement et ce, gratuitement.
- Articles L 81 et suivants du Livre des procédures fiscales
- Article L 123-22 du Code de commerce (délai de conservation des documents comptables)
- Article 1734 du Code général des impôt (amende pour refus de communication des documents)
- BOFiP-Impôts-BOI-CF-COM-10
- Loi de finances rectificative pour 2014, n° 2014-1655, du 29 décembre 2014 (article 21)
- Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (article 140)
- Décret n° 2015-531 du 12 mai 2015 relatif à l’exercice du droit de communication des administrations fiscale et douanière
- Décret n° 2015-903 du 23 juillet 2015 relatif aux obligations comptables des commerçants
- Décret n° 2015-1091 du 28 août 2015 fixant les conditions d'exercice du droit de communication mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales
- Arrêt du Conseil d’État du 11 avril 2014, n° 354314 (documents non concernés par le droit de communication)
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 27 juin 2017, n°16PA02468 (l’accès aux documents par le contribuable qui en fait la demande doit être gratuit).
- Arrêt du Conseil d’État du 11 octobre 2017, n°398730 (droit de communication auprès d’un casino et consultation du registre des joueurs)
- Loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 (articles 106 et 109)
- Avis du Conseil d’État du 6 juin 2018, n°418863 (communication des documents au codébiteur solidaire)
- Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (articles 14 et 15) – droit de communication auprès des opérateurs de téléphonie et des FAI
- Loi de finances pour 2021 du 29 décembre 2020, n°2020-1721, articles 173, 185 et 186 (précisions concernant les opérateurs de téléphonie, les travailleurs indépendants et les particuliers employeurs)
- Loi de finances pour 2022 du 30 décembre 2021, n°2021-1900 (article 145)
- Décret n° 2023-674 du 27 juillet 2023 relatif à la procédure de communication des données de connexion aux agents de l'administration des impôts prévue à l'article L. 96 G du livre des procédures fiscales