Déclarer votre patrimoine immobilier « insaisissable »
Faire une déclaration d’insaisissabilité : pourquoi ?
Un patrimoine commun. Sont visés, par principe, les entrepreneurs individuels : sur le plan patrimonial, un entrepreneur dispose d’un patrimoine unique, c’est-à-dire qu’il n’est pas fait de distinction entre son patrimoine privé et son patrimoine professionnel. Il s’ensuit donc une conséquence qui peut être fâcheuse dans l’hypothèse où l’entreprise connaîtrait des difficultés financières ou des défaillances : un créancier professionnel pourra saisir vos biens, qu’il s’agisse de biens privés ou de biens professionnels.
Concrètement. La saisie suppose que le créancier « immobilise » un bien vous appartenant ; et si vous n’honorez pas votre dette, il pourra faire vendre le bien et se payer sur le prix de la vente ou, le cas échéant, se faire attribuer le bien saisi.
Des protections possibles. Cette conséquence peut être limitée par plusieurs mécanismes ou dispositifs, parmi lesquels figure la déclaration d’insaisissabilité, qui permet de faire échapper à toute poursuite vos biens immobiliers. Mais avant d’aborder cette notion, sachez qu’il existe d’autres moyens d’assurer la protection de votre patrimoine, qui n’intéressent pas uniquement votre patrimoine immobilier :
- en premier lieu, on pense à l’optimisation des régimes matrimoniaux : en optant pour un régime séparatiste, vous pouvez protéger les biens appartenant à votre conjoint ;
- en second lieu, vous pouvez opter pour l’entreprise individuelle à responsabilité limitée qui vous autorise à affecter un patrimoine dédié à l’exploitation et permet d’isoler et de protéger vos biens privés (attention : depuis le 28 avril 2017, rendre la déclaration d’affectation du patrimoine opposable aux créanciers dont la créance est antérieure au dépôt de la déclaration n’est plus possible) ;
- en troisième lieu, il est également possible d’optimiser la protection du patrimoine privé en passant en société.
Faire une déclaration d’insaisissabilité : comment ?
Quelle protection ? La déclaration d’insaisissabilité aura pour objectif de rendre, comme son nom l'indique, insaisissables, les biens immobiliers qu’elle vise. Lesquels ?
Pour quels biens immobiliers ? Vous pourrez, via cette déclaration, rendre insaisissable l’ensemble de votre patrimoine immobilier qui n’est pas affecté à l’exploitation. Vous pouvez même déclarer insaisissable un bien immobilier affecté pour partie à un usage professionnel et pour partie à un usage privé : dans ce cas, l’insaisissabilité ne vaudra que pour la partie non affectée à un usage professionnel et à condition qu’elle soit alors désignée dans un état descriptif de division (ce n’est pas toutefois pas obligatoire si vous vous limitez à domicilier votre entreprise dans votre habitation principale, logement qui pourra alors faire l’objet de la déclaration d’insaisissabilité).
Pour la résidence principale. Votre habitation principale est de droit insaisissable (pour les créances professionnelles nées après le 7 août 2015). Vous n’avez donc aucune démarche particulière à effectuer pour protéger votre résidence principale. Notez que :
- même si vous utilisez aussi votre habitation principale pour un usage professionnel, la partie utilisée à titre privé est de droit insaisissable (sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire) ;
- même si vous domiciliez votre entreprise à votre domicile, votre résidence principale reste de droit insaisissable ;
- si vous vendez votre résidence principale, le produit de la vente est insaisissable si vous l’affectez dans le délai d’un an à l’achat de votre nouvelle habitation principale.
Le saviez-vous ?
Cette déclaration ne sera pas opposable à l'administration fiscale si elle relève, à votre encontre, soit des manœuvres frauduleuses, soit l'inobservation grave et répétée de vos obligations fiscales. Il en est de même de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale qui ne pourra pas être opposée à l’administration dans ces mêmes hypothèses. Est frauduleuse, par exemple, la déclaration d’insaisissabilité effectuée alors que vous êtes en état d’insolvabilité apparente au jour de la signature de l’acte.
Pour information. Sachez qu’il est possible de renoncer, à tout moment, à l’insaisissabilité des biens immobiliers.
Marche à suivre. Pour effectuer cette déclaration, vous devez recourir aux services d’un notaire (à défaut, votre déclaration sera déclarée nulle) qui se chargera de sa rédaction : elle devra contenir tous les éléments descriptifs des biens concernés (munissez-vous de tous les justificatifs de propriété et autres documents utiles à l’élaboration de cette déclaration) et être publiée au service de la publicité foncière (ou au livre foncier pour les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).
Le saviez-vous ?
Sachez que cette déclaration a un coût : outre les éventuels honoraires de conseil du notaire, ce dernier vous demandera des frais de rédaction, de formalités et d’enregistrement.
Quelques formalités à respecter. Si votre entreprise est immatriculée à un registre professionnel (registre du commerce et des sociétés, répertoire des métiers notamment), il doit y être fait mention de l’existence de cette déclaration d’insaisissabilité. Si vous n’êtes pas astreint à cette immatriculation, un extrait de la déclaration doit être publié dans un journal d’annonces légales du département dans lequel vous exercez votre activité.
Faire une déclaration d’insaisissabilité : quand ?
2 points importants à signaler. La déclaration d’insaisissabilité ne vaut « que pour l’avenir » et suppose que les formalités soient faites avant toute cessation de paiement. Voilà qui mérite quelques explications…
Que pour l’avenir ? La protection induite par cette déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers professionnels dont les droits naissent postérieurement à la publication de votre déclaration (la déclaration ne vaut donc que pour les dettes futures). Il vous est donc conseillé de procéder au plus tôt à cette déclaration.
Pour la petite histoire… Un entrepreneur a vu sa responsabilité mise en cause à la suite de son intervention sur du matériel appartenant à une de ses sociétés clientes, qui a conduit à un préjudice important. La mise en cause de sa responsabilité étant avérée, il n’a pu faire face aux conséquences financières. Pensant être protégé par la déclaration d’insaisissabilité de son domicile, il a vu cette déclaration jugée inopposable à la société créancière : cette dernière lui avait envoyée, quelques jours avant la publication de la déclaration d’insaisissabilité, deux mises en demeure faisant état du préjudice subi. Le juge n’a pu que constater que la créance était effectivement antérieure à la publication de la déclaration.
Pour la petite histoire (2) … Un professionnel signe un contrat de construction avec un couple. Peu de temps après, l’entrepreneur effectue une déclaration d’insaisissabilité. Suite à un retard sur le chantier, il est ensuite mis en demeure de s’exécuter par le couple, avec lequel il finit par signer un protocole d’accord… qu’il n’exécute pas. Le couple décide de saisir le juge à son encontre. Le professionnel fait alors valoir sa déclaration d’insaisissabilité, effectuée avant la signature du protocole d’accord. A tort, d’après le juge, qui rappelle que les droits des époux sont nés lors de la signature du contrat initial… soit avant la déclaration d’insaisissabilité, qui leur est donc inopposable.
Au plus tôt ! Faites votre déclaration d’insaisissabilité au plus tôt : sachez que depuis le 1er juillet 2014, il est expressément prévu qu’une déclaration d’insaisissabilité faite alors que l’entreprise est en état de cessation des paiements est nulle ! Il est même prévu qu’une déclaration d’insaisissabilité faite dans les 6 mois précédant la date de cessation des paiements pourra être annulée par le juge.
Le saviez-vous ?
Un liquidateur peut tout à fait contester une déclaration d’insaisissabilité irrégulière.
A retenir
Depuis le 7 août 2015, votre résidence principale est, de droit, insaisissable. Pour les autres biens immobiliers (non affectés à l’exploitation), vous devez effectuer une déclaration d’insaisissabilité pour mettre vos biens à l’abri des créanciers professionnels.
Attention : cette déclaration ne vaut que pour les dettes futures, et non pour les dettes qui existent déjà au moment de la publication de cette déclaration. Faites-la le plus tôt possible !
J'ai entendu dire
Que se passe-t-il si on vend un bien immobilier qui a été déclaré insaisissable ?Dans ce cas, l’insaisissabilité s’étend au produit de la vente : le prix perçu demeure insaisissable à la condition que vous utilisez ces fonds à l’achat d’un nouveau bien dans lequel vous fixerez votre résidence principale, et ce, dans le délai d’1 an (l’acte d’achat doit contenir une déclaration de réemploi des fonds établie selon les mêmes modalités que la déclaration initiale d’insaisissabilité).
- Articles L 526-1 et suivants, R 526-1 et R 526-2 du Code de Commerce
- Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, article 42 (exception à l’insaisissabilité des biens immobiliers)
- Décret n° 2017-630 du 25 avril 2017 relatif à la simplification du droit des sociétés et au statut de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée
- Arrêt de la Cour de Cassation, 2ème chambre civile, du 28 juin 2012, n° 11-18078 (inopposabilité de la déclaration aux créances antérieures à la publication)
- Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, article 56 (nullité des déclarations d’insaisissabilité)
- Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, article 206 (insaisissabilité de droit de la résidence principale)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 15 novembre 2016, n° 14-26287 (déclaration d’insaisissabilité contestée par un liquidateur)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 14 décembre 2016, n° 15-21876 (déclaration d’insaisissabilité frauduleuse)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 15 novembre 2017, n° 16-19425 (déclaration contestée par un liquidateur et non publiée au RCS)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 8 janvier 2020, n° 18-20885 (déclaration d’insaisissabilité faite après la signature d’un contrat avec des clients particuliers – inopposable