Dirigeants de société : attention à l’action en comblement de passif
L’action en comblement de passif : de quoi s’agit-il ?
Principe. On parle « d’action en comblement de passif », lorsque le dirigeant d’une société placée en liquidation judiciaire est personnellement poursuivi pour des fautes de gestions qui ont contribué à aggraver les dettes (le « passif ») de la société.
En d’autres termes. Cette action est utilisée lorsqu’on considère que les fautes du dirigeant ont contribué à mettre la société en difficulté financière.
Quels dirigeants ? Tous les dirigeants de droit (c’est-à-dire ceux désignés par les statuts ou par les organes sociaux compétents de la société, comme les directeurs généraux, le directeur général délégué d'une société anonyme, les administrateurs, le président du conseil d’administration, les gérants, etc.) peuvent être visés par l’action en comblement de passif.
Mais aussi. Les dirigeants de fait sont aussi concernés par cette action : dans ce cas, il faut prouver que la personne qui n’a pas la qualité de dirigeant de droit exerce, en toute liberté ou indépendance, seule ou en groupe, de façon continue et régulière des activités de gestion et de direction engageant la société.
Exemple de dirigeant de fait. Par exemple, a été reconnu dirigeant de fait le directeur d’une société qui disposait d’une autonomie de gestion importante, et qui était notamment responsable du changement de personnel d’encadrement et de la fixation des prix de vente.
Contre-exemple de dirigeant de fait. Il a été jugé que le fournisseur d’une entreprise placée en liquidation judiciaire n’a pas eu la qualité de dirigeant de fait à son égard dès lors que l’ensemble des mesures de contrôle qu’il a mises en place (notamment concernant sa trésorerie) ont été autorisées et effectuées en lien avec les dirigeants de droit de l’entreprise, et qu’il n’a jamais donné d’instruction à ces derniers.
Et si le dirigeant n’a pas été rémunéré pour ses fonctions ? Il a récemment été jugé que le dirigeant d’une société placée en liquidation judiciaire dont les fautes de gestion ont contribué à aggraver la situation financière de la société peut être condamné à prendre en charge une partie de ses dettes et ce, même s’il a exercé ses fonctions de manière bénévole. Le fait qu’il n’ait pas été rémunéré n’a pas d’incidence sur l’étendue de sa responsabilité.
Quid de l’ancien dirigeant ? Dans une affaire récente, le juge rappelle que la responsabilité d’un ancien dirigeant peut être engagée pour insuffisance d'actif si l’insuffisance existait à la date de cessation de ses fonctions.
Le saviez-vous ?
Seuls les dirigeants en fonction après l’immatriculation de la société au registre du commerce sont susceptibles d’être concernés par l’action en comblement de passif.
Conditions de l’action en comblement de passif. Pour que l’action en comblement de passif puisse être utilisée, les conditions suivantes doivent être réunies :
- la société doit faire l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ;
- la société doit être dans l’impossibilité de « combler son passif », c’est-à-dire de faire face à ses dettes avec son « actif disponible » (c’est-à-dire sa trésorerie, et ses réserves de crédit) ; cette impossibilité étant appréciée au jour où le tribunal statue sur la sanction ;
- le dirigeant a commis une ou plusieurs fautes de gestion qui ont contribué à aggraver l’« insuffisance d’actif » de la société.
Attention. Ce dernier critère a deux conditions cumulatives : le dirigeant doit avoir commis une ou plusieurs fautes de gestion et celle(s)-ci doi(ven)t avoir contribué à aggraver la situation financière de l’entreprise.
Antériorité de la faute. La faute de gestion reprochée au gérant doit donc être antérieure au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire.
Illustration. Il a été jugé qu’un gérant qui avait commis plusieurs fautes de gestion (dont une augmentation fictive de capital et l’embauche dissimulée d’un salarié) ne pouvait pas être condamné à supporter les dettes de sa société mise en liquidation judiciaire, dans la mesure où il n’était pas prouvé que les fautes en question aient contribué à aggraver les dettes de l’entreprise.
Illustration bis. Un dirigeant qui ne prend pas la peine de représenter sa société attraite devant un tribunal et qui ne fait pas appel de la décision la condamnant au paiement d'une somme d'argent ne sont pas forcément des motifs permettant de caractériser la faute du dirigeant, et en conséquence le lien de contribution entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif constaté.
Et la simple négligence ? La simple négligence ne peut pas être qualifiée de faute de gestion. Il peut s’agir d'une faute de vigilance, par exemple.
Pour la petite histoire. Le dirigeant qui omet de recouvrer le paiement de diverses factures relatives à des chantiers pour lesquels la société avait pourtant commandé des stocks et qui passe des commandes de marchandises trop importantes au regard des contrats conclus par la société commet des fautes de gestion, et non de simples négligences, qui justifient qu’il soit condamné à prendre en charge les dettes de la société.
Exemple de fautes de gestion ayant aggravé le passif. A été condamné à combler les dettes de la société le gérant ayant décidé de s’octroyer une rémunération excessive.
Attention aux exceptions ! Le juge a récemment rappelé que la gérante d’une SARL ne commet pas forcément de faute de gestion pour n’avoir pas veillé, dans le délai imparti à la société pour le faire, à la reconstitution par celle-ci de ses capitaux propres.
Pour mémoire, lorsqu’une SARL constate que ses capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié de son capital social, les associés peuvent décider de procéder à la dissolution de la société ou au maintien de celle-ci.
Dans cette dernière hypothèse, la société est alors tenue, au plus tard à la clôture du 2e exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue :
- soit de reconstituer ses capitaux propres à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social ;
- soit, à défaut, de réduire le montant de son capital d'un montant au moins égal à celui des pertes qui n'ont pu être imputées sur les réserves.
Dans cette affaire, la SARL avait bel et bien constaté que ses capitaux propres devenaient inférieurs à la moitié de son capital social, puis avait été, dans l’intervalle des 2 ans, mise en redressement judiciaire.
Dans un tel cas, le juge a rappelé que les dispositions relatives à la reconstitution des capitaux propres par une SARL (et notamment le délai imparti pour le faire), n’avait pas vocation à s’appliquer. Dès lors, la gérante de la SARL ne pouvait être personnellement poursuivie par le liquidateur pour n’avoir pas tiré les conséquences d’une absence de reconstitution des capitaux propres de la société dans ce délai.
Signaux d’alerte. Il a été jugé que devait prendre en charge les dettes de la société le dirigeant qui ne s’est pas alarmé :
- des résultats déficitaires de la société, malgré la vente des biens destinés à assurer durablement les besoins de son exploitation (ce que l’on appelle des « immobilisations »),
- du rejet de chèques sans provision,
- de la vente des biens destinés à assurer l’activité de la société,
- du refus de crédits opposé à la société par les établissements bancaires,
- des préoccupations dont le commissaire aux comptes avait fait part, ainsi que de l’éventuelle procédure d’alerte qu’il envisageait de mettre en oeuvre,
- des manquements aux règles d’hygiène en vigueur qui se sont poursuivis pendant 2 années.
L’action en comblement de passif : comment ?
Tribunal compétent. Le tribunal compétent pour statuer sur l’action en comblement de passif est celui qui a ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire de la société.
Qui peut agir ? Le représentant des créanciers, le liquidateur judiciaire ou le ministère public peuvent être à l’origine de l’action en comblement de passif à l’égard du dirigeant.
Mais aussi. Le tribunal peut également être saisi par la majorité des créanciers nommés contrôleurs, lorsque le liquidateur n’a pas engagé l’action après une mise en demeure restée sans suite.
Mesures conservatoires. Afin d’éviter que les dirigeants en cause aient le temps d’organiser leur insolvabilité financière, le président du tribunal peut ordonner des mesures conservatoires relatives à leurs biens.
Délai pour agir. L’action doit être intentée dans un délai de 3 ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
L’action en comblement de passif : quelle(s) conséquence(s) ?
Une sanction patrimoniale. Si l’action aboutit, le dirigeant peut être condamné à supporter personnellement tout ou partie des dettes de la société.
Comblement de passif : cas vécu 1. Il a été jugé que le gérant d’une société mise en liquidation judiciaire ne peut contester sa condamnation à prendre en charge une partie de ses dettes en faisant valoir qu’il s’est seulement « désintéressé » de sa gestion. Dans cette affaire, le juge a souligné que le gérant avait été à la tête de la société pendant plus de 6 ans et qu’il ne pouvait donc pas ignorer les pertes de chiffre d’affaires que celle-ci enregistrait, ni les dettes de cotisations sociales qu’elle accumulait. Sa condamnation à prendre en charge une partie de ses dettes est, selon le juge, justifiée.
Comblement de passif : cas vécu 2. Un gérant de SARL mise en liquidation judiciaire a été condamné à prendre en charge une partie de ses dettes dès lors qu’il a convoqué l’assemblée générale des associés ayant voté la distribution de ses dividendes, alors même que la société rencontrait des difficultés financières et qu’il a voté, en qualité de représentant légal de la société associée unique de la SARL, la distribution de ces dividendes. Le gérant, qui a privé la SARL de la majeure partie de ses réserves pour favoriser une société dans laquelle il était personnellement intéressé a été condamné par le juge à prendre en charge une partie de ses dettes.
Le saviez-vous ?
Le dirigeant condamné à combler le passif de la société peut aussi être poursuivi pour réparer le préjudice personnel des associés ou des créanciers sociaux. Sa responsabilité fiscale peut également être engagée en cas de fraude.
Et en cas de pluralité de dirigeants ? S’il y a plusieurs dirigeants fautifs, ils peuvent être déclarés solidairement responsables par le juge de tout ou partie des dettes de la société.
Pour la petite histoire. Il a été jugé que des fautes de gestion commises par l’un des cogérants n’engageaient pas la responsabilité du second gérant.
Illustration. Deux anciens gérants de société qui sont chacun responsables de fautes ayant contribué à aggraver le passif de la société peuvent être condamnés solidairement à régler le montant de ses dettes. Le fait que les conséquences financières de chaque faute n’aient pas été précisément évaluées n’a aucune importance.
Illustration (bis). Il a été jugé qu’un dirigeant, qui avait tardé à déposer une déclaration de cessation des paiements, n’avait pas contribué à aggraver les dettes de la société, et n’avait donc pas à les prendre en charge.
Répartition des sommes entre les créanciers. Les sommes versées par le ou les dirigeants condamné(s) sont réparties entre tous les créanciers à proportion de leurs créances, sans qu’il soit tenu compte de la nature privilégiée ou non de celles-ci.
Délais de paiement. Le dirigeant peut demander des délais de paiement pour régler le montant dû.
En cas d’inexécution de la sanction. Si le dirigeant ne règle pas les sommes auxquelles il a été condamné, il peut être notamment frappé d’interdiction de diriger, de gérer, d’administrer ou de contrôler toute entreprise commerciale, artisanale, ou tout société.
Un rappel concernant « l’insuffisance d’actifs ». Le juge a récemment rappelé que le montant de la condamnation du dirigeant d’une société mise en liquidation judiciaire ne peut excéder celui de « l’insuffisance de son actif », qui doit nécessairement être calculé en déduisant du montant des dettes de la société le montant de son « actif », c’est-à-dire des biens qu’elle possède.
À retenir
Si vous êtes dirigeant de société, vos fautes de gestion peuvent vous conduire à devoir supporter tout ou partie des dettes de la société, s’il est prouvé qu’elles ont contribué à aggraver la situation financière de la société.