Expert-comptable et devoir de conseil : illustrations pratiques
Devoir de conseil : quel cadre juridique ?
Un conseil. Le devoir de conseil consiste à informer votre client pour l’aider à prendre une décision en toute connaissance de cause. Ce devoir est une obligation pour la profession d’expert-comptable, votre réglementation prévoyant qu’à l’égard de votre clientèle, vous êtes tenu à « un devoir d'information et de conseil ». Qu’implique-t-il ?
Une attitude. Le devoir de conseil suppose que vous ayez une attitude active. Vous devez demander à votre client qu’il vous transmette tous les documents nécessaires à l’exercice de votre mission.
Indépendance. Vous devez également pouvoir travailler en toute indépendance. Si ce n’est pas le cas, vous avez l’obligation de dénoncer le contrat qui vous lie à votre client.
Lettre de mission. Vous devez impérativement conclure un contrat écrit avec votre client. C’est dans ce contrat que votre mission sera définie. Par la même occasion, votre devoir de conseil se trouvera également limité aux modalités de votre intervention précisées dans la lettre de mission. Plus la mission est large, plus votre devoir de conseil est important. Il a cependant été jugé que l’absence de lettre de mission n’empêche pas un expert-comptable de prétendre au paiement de ses honoraires, s’il prouve la réalité des prestations accomplies.
Rédacteur. Lorsque vous rédigez un acte, votre devoir de conseil sera étendu au-delà de la mission confiée car ce devoir de conseil est lié à un devoir d’efficacité des actes. Inversement, si vous n’êtes pas rédacteur, votre devoir de conseil pourra être plus limité.
Exemple. Un expert-comptable qui intervient dans un acte de cession, en tant que simple séquestre du prix de vente et non en tant que rédacteur, n’est pas redevable d’un devoir de conseil en matière fiscale à l’égard de son client.
Réparation. Lorsqu’un client doit être indemnisé, il existe 2 possibilités, à savoir :
- soit il est indemnisé intégralement (c’est le cas en matière fiscale, généralement) ;
- soit il est indemnisé pour la perte de chance, les juges ayant de plus en plus recours à ce mode de réparation (son évaluation n’est pas forfaitaire : le juge doit évaluer, au préalable, le montant total des préjudices subis pour déterminer et évaluer la perte de chance).
Faute. Pour que votre responsabilité soit engagée sur la base d’un manquement au devoir de conseil, il faut qu’il existe une faute de votre part, un préjudice et un lien entre ceux-ci.
Devoir de conseil : illustrations pratiques
Illustrations. Vous trouverez ci-dessous quelques exemples qui permettent d’illustrer votre devoir de conseil.
Bulletin de paie. Un cabinet d’expertise-comptable, chargé de la présentation des comptes annuels d’une société, s’est vu confier la mission accessoire intitulée « prestation sociale » comprenant, pour 2 salariés, l'établissement des bulletins de paie et les déclarations aux organismes sociaux. Un de ces deux salariés a réussi à faire requalifier son contrat de travail en contrat à durée indéterminée. La société s’est alors retournée contre le cabinet d’expertise-comptable, lui reprochant un manquement à son devoir de conseil quant aux irrégularités qu'elle constate dans les modalités de l’embauche de ses salariés. Et le cabinet a été… condamné ! Compte tenu des informations que l’expert-comptable doit recueillir pour établir le contrat de travail et les bulletins de paie, il est tenu d’une obligation de conseil relative à la conformité de ce contrat de travail à la réglementation.
Établissement des comptes annuels. Un expert-comptable chargé d’établir les comptes annuels pour son client a été poursuivi par ce dernier pour ne pas lui avoir révélé une irrégularité résultant de l’absence de constitution d’une réserve spéciale de participation suite au franchissement du seuil du nombre de salariés prévu par la Loi. Dans cette affaire, le juge a donné raison à l’expert-comptable : son devoir de conseil était limité à la mission qui lui avait été confiée. Aucune mission en droit social ne lui ayant été confiée, l’expert-comptable n’a pas manqué à son devoir de conseil.
Vérification des documents comptables. Il a été jugé que l’expert-comptable qui n’a pas vérifié la cohérence des documents comptables remis par son client avant d’établir ses comptes annuels commet une faute susceptible d’engager sa responsabilité. Dans cette affaire, la présentation erronée des comptes annuels a donné lieu à un contrôle fiscal du client. Celui-ci a alors décidé de réclamer une indemnisation à son expert-comptable. À tort, selon celui-ci, qui indiquait que l’erreur commise dans les comptes annuels étaient due aux données comptables remises le dirigeant de l’entreprise cliente. Sauf, a rappelé le juge, que l’expert-comptable aurait dû vérifier la vraisemblance et la cohérence des comptes remis par son client avant de les utiliser. Il a donc commis une faute indemnisable.
Donner un mauvais conseil. Sur les conseils de son expert-comptable, une société a opté pour un régime spécial permettant d’être exempté de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Choix contesté par l’administration fiscale qui a procédé à un redressement fiscal. Ce qui a eu pour conséquence la condamnation de l’expert-comptable qui a commis une faute en conseillant à tort à la société d’opter pour un régime fiscal auquel elle n’avait pas droit.
Vous n’êtes pas un mandataire. Par principe, la mission dont vous êtes chargé par votre client ne fait pas de vous son mandataire. Si votre client souhaite que vous le représentiez, notamment auprès de l’administration fiscale, il faut que cela ait été prévu contractuellement.
Détournement de fonds. Une société s’aperçoit que sa comptabilité est inexacte du fait du détournement de fonds opéré par un de ses salariés. Elle reproche à son expert-comptable, chargé de vérifier la fiabilité des comptes de l’entreprise, d’avoir manqué à son devoir de conseil. Mais le juge ne condamne pas l’expert-comptable : il a, en effet, invité à plusieurs reprises la société à mettre en place un certain nombre de mesures de contrôle sur les pouvoirs accordés au salarié fautif. Par conséquent, la société a commis une faute en n’écoutant pas l’expert-comptable ce qui exonère le professionnel de toute responsabilité.
Le saviez-vous ?
Votre devoir de conseil implique un devoir d’alerte. Vous devez donc attirer l’attention de votre client sur les conséquences de ses actes s’il ne respecte pas les obligations qui lui incombent.
Mission de secrétariat juridique. Un expert-comptable a été condamné pour manquement au devoir de conseil dans le cadre de sa mission de secrétariat juridique. Ce dernier, estimant être tenu à une simple mission de secrétariat juridique, n’a pas alerté son client à propos de ses obligations légales en matière de convocation des assemblées générales. Mais son client le lui reproche, lui rappelant que sa mission de secrétariat juridique incluait une mission d’assistance juridique. Ce qu’a confirmé le juge, condamnant l’expert-comptable.
Conseil fiscal. L’administration fiscale a procédé au redressement d’une société qui n’avait pas facturé de TVA à ses clients. La société s’est alors retournée contre son expert-comptable pour manquement à son devoir de conseil et a obtenu gain de cause. Le juge a estimé que l’expert-comptable aurait dû prévenir la société des risques fiscaux que crée l’absence de facturation de TVA.
Conseil fiscal (bis). Un expert-comptable, en charge d’établir les déclarations de TVA d’un client, a été condamné pour manquement à son devoir de conseil pour ne pas avoir alerté son client qu’il appliquait un taux de TVA plus élevé que celui applicable. Dans cette affaire, l’expert-comptable a été condamné à verser au client une indemnité égale à l’écart entre le montant de TVA décaissée et celui qui aurait dû être versé.
Conseil fiscal (tercio). Il a été jugé qu’un expert-comptable qui n’a pas mal conseillé son client sur les conséquences fiscales d’une opération doit voir sa responsabilité engagée. Dans cette affaire, un restaurateur achète, en qualité de marchand de biens, plusieurs fonds de commerce, qu’il exploite. Quelques années plus tard, il apporte ces fonds de commerce à 3 sociétés qu’il vient de créer, et place l’opération sous un régime fiscal avantageux. Ce que remet en cause l’administration fiscale, qui rappelle que les fonds de commerce ont été acquis par le restaurateur en sa qualité de marchands de biens, ce qui exclut leur apport du champ d’application de l’avantage fiscal en question. L’expert-comptable, qui a assisté le client dans l’opération d’apport sans l’alerter sur les conséquences fiscales de son opération, doit être tenu pour responsable de la situation.
Contrôle fiscal (quarto). Le client d’un expert-comptable a fait l’objet d’un redressement fiscal qu’il a contesté. Après avoir été définitivement condamné, le client a réclamé des dommages-intérêts à l’expert-comptable. Demande irrecevable, selon le professionnel du chiffre : depuis la notification du redressement, il s’est, en effet, écoulé plus de 6 ans. Or, son client avait 5 ans pour agir à son encontre. Mais pour le client, le délai de la prescription commence à courir à compter de la décision définitive le condamnant à payer le redressement fiscal et non à compter de la notification du redressement. Ayant agi moins de 5 ans après la décision définitive le condamnant, le client estime que son action est recevable. Ce que confirme le juge.
Contrôle fiscal (quinto). Le client d’un expert-comptable (associé unique d’une EURL) a fait l’objet d’un redressement fiscal qu’il a contesté. Après avoir été définitivement condamné, le client a réclamé des dommages-intérêts à l’expert-comptable, lui reprochant d’avoir manqué à ses obligations en notifiant à l’administration fiscale son option à l’IS par lettre simple. Demande irrecevable, selon le professionnel du chiffre : s’il a bien commis une faute en ne notifiant pas l’option par lettre recommandée, son client a également commis des fautes dans la tenue de sa comptabilité. Puisque l’associé ne prouve pas que les redressements découlent (exclusivement) du comportement fautif de l’expert-comptable, le juge rejette sa demande d’indemnisation.
Conseil fiscal (sexto). Un couple qui réclame une indemnisation à son expert-comptable pour ne pas mis en œuvre les options lui permettant de bénéficier d’un avantage fiscal dans le cadre d’achats immobiliers doit prouver que les immeubles achetés étaient éligibles à un tel dispositif. À défaut, sa demande d’indemnisation doit être rejetée.
A retenir
Vous êtes redevable à l’égard de vos clients d’un devoir de conseil qui consiste à informer le client pour l’aider à prendre une décision en toute connaissance de cause. Votre devoir de conseil est délimité par la mission dont vous a chargé votre client.
Si vous êtes rédacteur d’un acte juridique, au titre de votre devoir d’efficacité des actes, votre devoir de conseil sera plus large. Dans tous les cas, votre devoir de conseil implique, entre autres, un devoir d’alerte.
J'ai entendu dire
Les compétences personnelles du client peuvent-elles m’exonérer de ma responsabilité ?Non, vous n’êtes pas déchargé de votre devoir de conseil par les compétences personnelles de vos clients et ce, même s’ils sont accompagnés d’un conseiller personnel.
- Article 1240 du Code civil (responsabilité au titre du devoir de conseil)
- Décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable (articles 141 et suivants)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 29 juin 2016, n° 15-10473 (conseil fiscal-absence de facturation de la TVA)
- Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 31 mars 2016, n° 15-02294 - non publié - (erreur de taux de TVA)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 8 mars 2016, n° 14-24769 (devoir de conseil-mission de secrétariat juridique)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 26 février 2013, n° 11-28397 (établir les comptes annuels)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 15 janvier 2013, n° 12-12264 (devoir d’alerte)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 4 décembre 2012, n° 11-27454 (rédacteur)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 29 novembre 2011, n° 11-10933 (évaluation de la perte de chance)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 17 mars 2009, n° 07-20667 (mission de rédiger les bulletins de paie)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile, du 5 mars 2009, n° 08-11374 (réparation de la perte de chance)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 3 mars 2009, n° 07-18614 (faute du client)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 3 juin 2008, n° 06-16119 (lettre de mission)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 18 mai 2005, n° 03-19016 (pas de rôle de représentation du client auprès de l’administration)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 9 novembre 2004, n° 02-12415 (compétence personnelle du client non prise en compte)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 22 mars 1994, n° 91-20129 (fiscal-option proposée non ouverte)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 8 décembre 1992, n° 91-11629 (réparation entière du préjudice)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 6 décembre 2017, n° 16-18788 (délai de prescription de l’action en responsabilité)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 14 février 2018, n°16-22772 (notification option IS par lettre simple et preuve du préjudice)
- Arrêt de la Cour d’Appel d’Orléans, du 14 novembre 2019, n° 18/034991 (expert-comptable payé même sans lettre de mission)
- Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 mars 2020, n° 17/04661 (NP) (l’expert-comptable qui n’a pas conseillé son client sur la fiscalité d’une opération doit voir sa responsabilité engagée)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 13 janvier 2021, n° 19-10509 (un client qui souhaite engager la responsabilité de son expert-comptable doit prouver que les achats d’immeubles qu’il a réalisé étaient éligibles à un avantage fiscal)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 27 janvier 2021, n° 18-20314 (un expert-comptable engage sa responsabilité s’il ne vérifie pas la cohérence des documents qui lui sont transmis par le dirigeant d’une entreprise dans le cadre de l’élaboration de ses comptes annuels)