Le changement de motivation d’un redressement fiscal : une possibilité sous conditions pour le vérificateur
Redressement fiscal : motivation obligatoire !
Une obligation pour l’administration ! Non seulement le vérificateur doit, en cours de contrôle, instaurer un débat oral et contradictoire, dont le non-respect peut entraîner l’irrégularité de la procédure, mais il doit aussi expliquer dans la proposition de rectifications les raisons qui le conduisent à rectifier tel impôt ou telle taxe.
Quelle est l’étendue de cette obligation ? Non seulement la proposition de rectifications fiscales doit indiquer, au moins sommairement quels sont les impôts, déclarations, actes, faits ou périodes en cause, mais le vérificateur doit, en outre, motiver ses propositions de redressements. Chaque chef de rehaussement doit être mentionné de manière distincte. Si la proposition de rectifications fiscales concerne plusieurs catégories d’impôt, elle doit comporter la mention de tous les impôts auxquels les rehaussements s'appliquent, étant entendu que lorsque les bases sont différentes, chaque impôt doit faire l'objet d'un développement spécial. Une proposition de rectification peut également, pour un même impôt ou groupe d'impôts, concerner plusieurs périodes d'imposition, mais les rehaussements afférents à chaque période doivent alors apparaître distinctement.
Le saviez-vous ?
Il ne faut pas perdre de vue, ici, que l’objectif sera de vous permettre de prendre position sur les rectifications envisagées en toute connaissance de cause : accepter ou contester les redressements suppose que vous puissiez en appréhender les motifs. Comment peut-on accepter ou refuser des redressements si on est dans l’incapacité de comprendre pourquoi le vérificateur les envisage ?
Une motivation « en droit ». La proposition de rectification doit obligatoirement comporter l'indication des motifs de droit ou de fait sur lesquels se fondent les rehaussements. Parce qu’une rectification fiscale suppose une application erronée d’une règle fiscale, quel que soit l’impôt concerné, le vérificateur doit expliquer en quoi cette application de la réglementation fiscale n’est pas conforme. Et s’il entend rehausser le montant de l’impôt sur les bénéfices, rectifier le montant de votre TVA due ou corriger les valeurs locatives de votre cotisation foncière des entreprises, il ne pourra le faire que si des textes de Loi l’y autorisent.
Une motivation « en fait ». Le vérificateur doit également vous expliquer en quoi les circonstances liées spécialement à votre entreprise l’ont conduit à rehausser les résultats déclarés. Prenons l’exemple classique de la déduction fiscale d’une provision pour créance douteuse. Le vérificateur pourra remettre en cause la déduction fiscale de cette provision pour créance douteuse, mais, il devra alors justifier pourquoi, selon lui, la créance en question ne peut pas faire l’objet d’une provision : le risque d’irrécouvrabilité est-il avéré dans ce cas ou s‘agit-il d’un simple impayé, l’entreprise est-elle en mesure de justifier du montant de la créance en question, etc. ?
Redressement fiscal : changement de motifs possible !
Une possibilité… Si l’administration doit motiver sa décision de rectifier un impôt ou une taxe, elle peut, à tout moment de la procédure changer sa motivation. C’est ce que l’on appelle juridiquement une « substitution de base légale ».
… mais des conditions à respecter ! Si l’administration souhaite utiliser le mécanisme de substitution de base légale, 3 conditions doivent être remplies :
- il doit y avoir identité d’impôt ;
- la substitution doit être demandée par l’administration elle-même, à tout moment de la procédure ;
- la procédure correspondant au nouveau fondement légal doit avoir été respectée dans les faits.
Une identité d’impôt. L’administration ne peut utiliser cette substitution de base légale que si l’impôt visé par elle reste le même.
Une demande de l’administration…. L’administration peut utiliser la substitution de base légale à n’importe quel moment pendant la procédure de redressement. Si elle souhaite se servir de ce mécanisme pendant une phase juridictionnelle, c’est-à-dire une fois qu’un tribunal a été saisi, elle doit le demander expressément.
… que le juge ne peut pas anticiper. Si pendant la phase juridictionnelle l’administration fiscale omet de demander une substitution de base légale, le juge ne pourra pas le faire à sa place.
Respect de la procédure. Pour pouvoir changer de base légale en cours de recouvrement, l’administration doit s’assurer que la procédure correspondant au nouveau fondement juridique invoqué par elle a été respectée dans les faits. Si tel n’est pas le cas, l’administration devra mettre un terme à la procédure en cours en accordant un dégrèvement puis devra engager une nouvelle procédure de recouvrement basée sur le fondement légal le plus approprié.
Respect des garanties du contribuable. Le nouveau fondement légal invoqué par l’administration ne doit pas avoir pour effet de priver le contribuable des garanties qui lui sont offertes par la loi.
En matière de pénalités… La substitution de base légale nécessite le respect de 2 conditions :
- la substitution ne doit pas priver la personne contrôlée des garanties de procédure prévues par la loi ;
- l’administration doit invoquer, au soutien de sa demande de substitution, des faits qu’elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée.
Le saviez-vous ?
L’administration ne pourra procéder à une substitution de base légale que si le nouveau fondement qui est invoqué par elle se justifie légalement : elle ne peut pas invoquer un fondement qui ne serait pas de nature à justifier le redressement engagé !
La substitution de base légale : illustrations pratiques
Application fréquente. La substitution de base légale est fréquemment utilisée par l’administration pour :
- passer d’une procédure contradictoire à une procédure d’évaluation ou de taxation d’office ;
- remplacer une procédure ouverte au titre d’un acte anormal de gestion par une procédure d’abus de droit ;
- passer d’une procédure d’évaluation d’office dans le cadre d’une opposition à contrôle à une évaluation d’office dans le cadre d’un défaut de déclaration.
Exemple. L’administration n’a pas pu substituer un redressement fondé sur les revenus de capitaux mobiliers à un redressement fondé sur la catégorie des revenus d’origine indéterminée : cette substitution aurait privé le contribuable de la faculté de saisir la commission départementale des impôts.
Exemple. L’administration peut engager un contrôle au titre de vos bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et se rendre compte finalement que le redressement porte sur un revenu relevant des règles des bénéfices non commerciaux (BNC). Dans cette hypothèse, la substitution de base légale est admise.
Exemple. L’administration ne peut pas engager un contrôle concernant le paiement de droits d’enregistrement pour se rendre compte finalement que l’application des règles relatives aux BNC serait plus adéquate. Dans cette hypothèse, la substitution de base légale n’est pas possible.
A retenir
La substitution de base légale est un mécanisme strictement encadré. L’administration ne peut s’en servir qu’en cas d’identité d’impôt, que si la procédure correspondant au nouveau fondement légal a été respectée dans les faits et que si elle le demande expressément.
- BOFIP impôts BOI-CTX-DG-20-40-10
- Arrêt du Conseil d’État en date du 23 mars 1988, n°46541 (substitution possible si identité d’impôt)
- Arrêt du Conseil d’État en date du 17 mai 2017, n°400706 (substitution si les garanties du contribuable sont respectées)
- Arrêt du Conseil d’État en date du 27 septembre 2006, n°260050 (un juge ne peut pas de lui-même substituer un fondement à un autre)
- Arrêt du Conseil d’État en date du 4 février 2015, n°364197 (substitution admise si nouveau fondement légalement justifié)
- Arrêt du Conseil d’État en date du 23 mars 2005, n°237810 (impossibilité de demander une substitution pour la première fois devant le Conseil d’État)
- Arrêt du Conseil d’État du 26 janvier 2021, n°439976 (exemple substitution base légale BIC/BNC)
- Arrêt du Conseil d’État du 16 juin 2023, no 454258 (substitution base légale et pénalités)