Mettre en place la géolocalisation des véhicules d’entreprise
Géolocalisation : vos droits
Une possibilité. Les dispositifs de géolocalisation, notamment grâce aux progrès techniques, se sont particulièrement démocratisés ces dernières années. Les entreprises ne s’y sont d’ailleurs pas trompées puisqu’elles sont de plus en plus nombreuses à recourir à ce système dans le cadre de leur organisation de travail. Ce qui a amené les pouvoirs à réglementer la géolocalisation des véhicules d’entreprise, en encadrant les usages admis.
De quoi s’agit-il ? La géolocalisation est un dispositif qui va vous permettre de prendre connaissance de la position géographique d’un salarié, en continu ou à un instant donné, grâce à la localisation de son véhicule. Notez que la géolocalisation ne vise pas uniquement les véhicules puisqu’il sera aussi possible de géolocaliser un salarié via un objet dont il a l’usage (un badge, un téléphone, etc.).
Des objectifs précis ! Comme le rappelle la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (Cnil), vous pourrez installer des dispositifs de géolocalisation dans les véhicules d’entreprise s’il s’agit de répondre à des objectifs précis. La Cnil n’admet ainsi la mise en place d’une géolocalisation que dans le cadre des finalités suivantes :
- suivre et facturer une prestation de transport (de personnes ou de marchandises) : utilisation, par exemple, d’une ambulance dans le cadre de la dématérialisation de la facturation de l’assurance-maladie ;
- suivre et facturer une prestation directement liée à l’utilisation du véhicule : utilisation, par exemple, d’un véhicule pour des prestations de nettoyage, pour assurer le ramassage scolaire, etc. ;
- justifier une prestation auprès d’un client ou d’un donneur d’ordre ;
- assurer la sécurité du salarié, des marchandises transportées et du véhicule dont il a la charge (en particulier la lutte contre le vol du véhicule) ;
- contrôler le respect des règles d’utilisation du véhicule définies par l’entreprise, sous réserve de ne pas collecter une donnée de localisation en dehors du temps de travail du conducteur ;
- assurer une meilleure allocation des moyens pour des prestations à accomplir en lieux dispersés, notamment pour des interventions d’urgence : permettre, par exemple, d’identifier le véhicule le plus proche pour assurer une prestation de dépannage ;
- respecter une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en place d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés ;
- accessoirement, assurer un suivi du temps de travail lorsque ce suivi ne peut pas être opéré par d’autres moyens.
Un salarié peut-il s’y opposer ? Un salarié pourra s’opposer à la mise en place d’un dispositif de géolocalisation, mais seulement si le dispositif installé ne respecte pas les conditions légales posées par la réglementation. D’où l’importance de se conformer aux directives de la Cnil si vous souhaitez installer ce type de dispositif.
Géolocalisation : vos obligations
Un principe. En qualité d’employeur, vous êtes en droit de surveiller et de contrôler l'activité de vos salariés durant leur temps de travail (c’est une illustration de votre pouvoir de direction). Mais il faut savoir que, même sur le lieu de travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
Plusieurs impératifs. Tout d’abord, il faut savoir qu’un système de géolocalisation ne peut pas être utilisé par l’entreprise pour d’autres finalités que celles portées à la connaissance des salariés.
Exemple. Un employeur avait mis en place un système de géolocalisation dans le véhicule de fonction d’un salarié dans le but d’étudier ses déplacements afin d’optimiser les visites clients. Mais il s’en est aussi servi pour réviser la rémunération du salarié après avoir constaté, grâce à cette géolocalisation, un déficit de son temps de travail. Le salarié sanctionné a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, ce qu’a validé le juge : la géolocalisation a été utilisée à d’autres fins que celles dont le salarié avait été informé.
Intervention du CSE. La mise en place d’un dispositif de géolocalisation est de nature à affecter les conditions de travail des salariés. C’est pourquoi le CSE, s'il est en place, doit être consulté avant la mise en œuvre du projet. À cette occasion, il peut solliciter l’avis d’un expert.
Pas de contrôle permanent. Ensuite, la mise en place d’un dispositif de géolocalisation dans l’entreprise ne doit pas avoir pour objectif la mise sous surveillance systématique et permanente de vos salariés. La Cnil et le juge précisent à cet égard qu’un salarié qui dispose d’une grande liberté dans l’organisation de son travail et de ses déplacements (visiteurs médicaux, VRP, etc.) ne peut pas être géolocalisé pour permettre à l’employeur d’assurer un contrôle de la durée du travail.
Ce que vous ne pouvez pas faire. Vous ne pouvez pas utiliser la géolocalisation pour :
- contrôler un salarié en permanence ;
- suivre les déplacements d’un salarié en dehors de son temps de travail lorsqu’il est autorisé à utiliser le véhicule à titre privé (le salarié doit pouvoir désactiver le système à l’issue de son temps de travail ou pendant leur temps de pause, étant précisé que vous êtes autorisé à demander des explications en cas de désactivations trop fréquentes ou trop longues du dispositif) ;
- suivre les déplacements d’un représentant du personnel dans le cadre de son mandat ;
- contrôler le respect des limitations de vitesse (seul le traitement de la vitesse moyenne peut être réalisé) ;
- pour calculer le temps de travail d’un salarié alors qu’un autre dispositif est déjà en place, même moins efficaces.
Le saviez-vous ?
La Cnil rappelle qu’il n’est pas possible de collecter des données de localisation en dehors du temps de travail du conducteur, en particulier lors des trajets effectués entre son domicile et son lieu de travail ou pendant ses temps de pause.
Géolocalisation : vos formalités
Un dispositif à déclarer ? Depuis le 25 mai 2018, il n’est plus nécessaire de déclarer ce dispositif à la Cnil. Cependant, si vous avez désigné un Délégué à la protection des données (DPO), vous devez l’associer à la mise en œuvre du dispositif. Et parce que vous devez tenir un registre des activités de traitement, vous y inscrirez l’existence de ce système.
Une information des salariés. Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance. Vous devez donc informer individuellement vos salariés, préalablement à la mise en œuvre du traitement de géolocalisation :
- des finalités poursuivies par le traitement,
- des catégories de données de localisation traitées,
- de la durée de conservation des données de géolocalisation les concernant,
- des destinataires ou catégories de destinataires des données,
- de l'existence d'un droit d'accès et de rectification et d'un droit d'opposition et de leurs modalités d'exercice.
Une information des représentants du personnel. Le cas échéant, pensez à consulter et informer les représentants du personnel avant toute mise en place d’un système de géolocalisation.
Un contrôle des données collectées. L’accès aux données de géolocalisation doit être limité aux seules personnes qui, dans le cadre de leur fonction, peuvent légitimement en avoir connaissance (personne en charge de la coordination et de la planification des déplacements et des interventions sur site, responsable des ressources humaines, responsable de la sécurité, etc.). Il faut donc prendre toutes les précautions pour éviter que les données collectées soient mises à la disposition de personnes non autorisées.
Concrètement. Si vous utilisez une connexion web pour le suivi de la géolocalisation, il faut, par exemple, sécuriser les systèmes d’accès au moyen de mots de passe et de codes utilisateurs, régulièrement renouvelés, ou par tout autre moyen d'authentification. La Cnil impose également que les accès doivent faire l’objet d’une traçabilité, dont l’intégrité est assurée, afin de permettre la détection d’éventuelles tentatives d’accès frauduleux ou illégitimes.
Le saviez-vous ?
Le recours à un sous-traitant pour la mise en place du dispositif de géolocalisation ne vous exonère pas de votre obligation de veiller au respect des mesures de sécurité à mettre en place. Faites le point sur le contrat de prestation, notamment au regard des obligations qui incombent à votre sous-traitant en matière de sécurité des données à caractère personnel.
Quelles données ? Peuvent être collectées les données suivantes, pour autant qu’elles soient adéquates, pertinentes et non excessives au regard de la finalité poursuivie par la mise en place du dispositif :
- l’identification du salarié (identité, coordonnées personnelles, n° d’immatriculation du véhicule) ;
- les données relatives aux déplacements des salariés : données de localisation issues de l’utilisation d’un dispositif de géolocalisation, historique des déplacements effectués ;
- les données complémentaires associées à l’utilisation du véhicule : vitesse de circulation du véhicule, nombre de kilomètres parcourus, durées d’utilisation du véhicule, temps de conduite, nombre d’arrêts ;
- la date et l’heure d’une activation et d’une désactivation du dispositif de géolocalisation pendant le temps de travail.
Cas d’une information individuelle tardive. Sachez qu’il a déjà été jugé que l’information individuelle tardive ne constituait pas un manquement suffisamment grave justifiant une prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur. Une telle prise d’acte s’analyse donc en démission. Dans cette affaire, l’employeur avait tout de même réunit le personnel afin de l’informer de son projet d’installer un dispositif de géolocalisation dans les véhicules de l’entreprise. Il a procédé à la déclaration Cnil, a installé les appareils mais a individuellement rappelé aux salariés, 3 mois après leur installation, le but du dispositif.
Le saviez-vous ?
Sauf si une disposition légale le permet, vous n’êtes pas autorisé à contrôler ni à collecter des données relatives au traitement de la vitesse maximale.
Une conservation des données limitée dans le temps. La conservation des données relatives à la localisation d’un salarié ne doit pas dépasser 2 mois. Les données de localisation peuvent toutefois être conservées pour une période supérieure à 2 mois si une réglementation spécifique le prévoit, si une telle conservation est rendue nécessaire à des fins de preuve de l'exécution d'une prestation, lorsqu'il n'est pas possible de rapporter cette preuve par un autre moyen, ou encore si la conservation est effectuée pour conserver un historique des déplacements à des fins d'optimisation des tournées (pour une durée maximale d'un an). Notez que, dans le cadre du suivi du temps de travail, seules les données relatives aux horaires effectués peuvent être conservées pendant une durée de 5 ans.
À retenir
Géolocaliser les véhicules d’entreprise, c’est possible, mais uniquement pour suivre et facturer une prestation de transport ou une prestation directement liée à l’utilisation du véhicule, assurer la sécurité du salarié, des marchandises transportées et du véhicule dont il a la charge, assurer une meilleure allocation des moyens pour des prestations à accomplir en lieux dispersés, respecter une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en place d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés, ou, accessoirement, assurer un suivi du temps de travail lorsque ce suivi ne peut pas être opéré par d’autres moyens.
- Article 9 du Code civil (protection de la vie privée)
- Articles 226-1 et suivants du Code pénal (protection de la vie privée)
- Article L1121-1 du Code du travail (principe de proportionnalité)
- Article L1222-4 du Code du travail (information des salariés)
- Article L2312-38 du Code du travail (information et consultation des représentants du personnel)
- www.Cnil.fr
- Délibération n°2006-066 du 16 mars 2006 portant adoption d'une recommandation relative à la mise en œuvre de dispositifs destinés à géolocaliser les véhicules automobiles utilisés par les employés d'un organisme privé ou public
- Délibération n° 2015-165 du 4 juin 2015 portant adoption d’une norme simplifiée concernant les traitements automatisés de données à caractère personnel mis en œuvre par les organismes publics ou privés destinés à géolocaliser les véhicules utilisés par leurs employés
- Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 3 novembre 2011, n° 10-18036 (utilisation de la géolocalisation à des fins autres que celles déclarées)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 17 décembre 2014, n° 13-23645 (géolocalisation d’un salarié disposant d’une liberté dans ses déplacements)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 25 janvier 2016, n° 14-17227 (rôle du CHSCT dans la mise en place d’un dispositif de géolocalisation)
- Arrêt du Conseil d’État, du 15 décembre 2017, n° 403776 (contrôle du temps de travail impossible s’il existe d’autres moyens, mêmes moins efficaces)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 20 décembre 2017, n° 16-12569 (prise d’acte pour information « postérieure » à l’installation du dispositif de géolocalisation)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 16 décembre 2020, n° 19-10007 (contrôle temps de travail et géolocalisation)
- ;
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 19 décembre 2018, n° 17-14631 (contrôle du temps de travail et géolocalisation)
- Arrêt de la Cour de cassation, civile, chambre sociale, du 22 mars 2023, n° 21-22852 (contrôle du temps de travail en dehors du temps de travail du salarié)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 6 septembre 2023, n° 22-12418 (contrôle de l’activité du salarié)
- Arrêt de la cour de Cassation, chambre sociale, du 22 mars 2023, no 21-24.729 (un dispositif de géolocalisation ne peut pas servir pour contrôler l’activité hors du temps de travail sans porter atteinte à la vie privée du salarié)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 20 mars 2024, no 22-17747 (un dispositif de géolocalisation doit être le seul moyen de contrôler la durée du travail pour être licite)