Que faire en cas de retrait de permis d'un salarié ?
Retrait de permis : une contrainte d’organisation
Un problème évident. Un salarié victime d’une annulation ou d’une suspension de permis de conduire peut rencontrer des difficultés pour assurer son travail dans l’entreprise. Ce qui peut, par voie de conséquence, entraîner une désorganisation dans l’entreprise. Désorganisation qu’il va falloir gérer…
Le saviez-vous ?
Il serait question de permettre aux employeurs (notamment dans les entreprises de transport) de connaître la validité ou l’invalidité du permis de conduire de leurs salariés qui utilisent des véhicules de l’entreprise. L’entreprise n’aurait toutefois pas accès au solde de points et à toute autre donnée personnelle du salarié.
Désorganisation de l’entreprise ? Le permis de conduire est-il ou non indispensable au salarié ? Si ce n’est pas le cas, ce retrait ne devrait pas avoir d’incidence puisque le salarié peut continuer à exécuter les missions prévues dans son contrat de travail. Mais si c’est le cas, vous allez devoir trouver une solution pour pallier cette difficulté et faire en sorte que le travail puisse, dans la mesure du possible, se poursuivre sans heurts, avec ou sans le salarié.
Des solutions alternatives. Plusieurs solutions sont envisageables, en fonction des circonstances. L’une des premières solutions serait de reclasser temporairement votre salarié sur un poste sédentaire qui ne nécessite pas de déplacements, mais encore faut-il qu’un tel poste existe et soit disponible. Une autre solution pourrait être de demander à votre salarié de poser des congés pendant la période de suspension, de lui faire bénéficier d’une formation, etc. Il peut être aussi possible de suspendre le contrat de travail dans l’attente que le salarié soit à nouveau en possession de son permis de conduire.
Une solution radicale ? Si ces solutions ne sont pas envisageables, la question se pose de savoir si vous pouvez sanctionner le salarié, et notamment le licencier. Il ne faut pas perdre de vue qu’un retrait de permis est, par principe, la conséquence d’une infraction relativement grave. Sachez que c’est possible, mais pas sans risques… D’où l’importance de prendre des précautions à ce sujet.
Retrait de permis pendant le temps de travail : licenciement possible !
Une distinction. Il faut distinguer 2 situations différentes, selon que l’annulation ou la suspension du permis de votre salarié est intervenue pendant son temps de travail ou en dehors du temps de travail, surtout si vous envisagez une sanction contre lui.
Pendant le temps de travail. La situation ici est clairement établie : si la perte du permis résulte de faits commis pendant le temps de travail ou à l’occasion du travail, vous pourrez retenir la faute contre votre salarié (sous réserve de pouvoir la justifier). C’est ce qui est arrivé à propos d’un salarié qui a subi un retrait de permis pour conduite sous un état alcoolique, le juge validant le licenciement disciplinaire (faute grave établie).
Retrait de permis en dehors du temps de travail : licenciement possible ?
Une situation plus délicate. La question qui se pose est la suivante : un salarié qui a subi un retrait de permis suite à une infraction commise dans le cadre de sa vie privée peut-il faire l’objet d’une mesure de licenciement ?
Oui et non. Par principe, un employeur ne peut pas se baser sur des faits relevant de la vie privée d’un salarié pour le licencier (il n’est pas, dans ce cas, dans un lien de subordination avec son employeur, envers qui il n’est donc tenu à aucune obligation). Mais un licenciement pourra être justifié si la situation entraîne un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise. Concrètement, comment faire ?
Licenciement disciplinaire impossible ! Si l’infraction qui justifie le retrait de permis a été commise en dehors du temps de travail, vous ne pouvez prendre aucune sanction disciplinaire à l’encontre de votre salarié (que ce soit un licenciement, une mise à pied, etc.). Sur le plan strictement juridique, une telle infraction commise en dehors des heures de travail n’entraîne pas une méconnaissance des obligations découlant du contrat de travail. Conséquence : évitez le licenciement pour faute !
Licenciement pour motif personnel ? Si le retrait de permis entraîne un trouble manifeste au bon fonctionnement de l’entreprise, il serait possible de licencier le salarié, mais à la condition de ne pas se placer sur le terrain disciplinaire. Dans ce cas, il ne faut pas justifier le licenciement par une faute, mais pour un motif personnel autre que disciplinaire, et pour autant qu’il soit réel et sérieux.
Exemple.Ce pourrait être le cas d’un salarié qui, suite au retrait de permis, s’est placé dans l’impossibilité d’accomplir son travail, empêchant toute poursuite de la relation contractuelle. C’est ce qui est arrivé à une salarié qui s’est vu retirer son permis pour conduite en état d’ivresse, alors que sa fonction (agent de propreté) rendait indispensable la conduite d’un véhicule. Dans cette affaire, le juge a admis le licenciement pour cause réelle et sérieuse parce que le permis de conduire était nécessaire à l’exercice effectif de l’activité professionnelle de la salariée.
Une clause prévue au contrat de travail; Lorsque les fonctions occupées par votre salarié impliquent nécessairement l’usage d’un véhicule et donc la détention du permis de conduire, il est vivement recommandé de formaliser cette obligation dans le contrat de travail. Cette clause peut également obliger votre salarié à vous montrer son permis à échéance périodique ou à vous informer sans délai de la perte de son permis…
Et dans ce cas… L’indemnité de préavis n’est pas due puisque le salarié est dans l’impossibilité d’occuper ses fonctions, pendant le préavis.
Attention. Un tel licenciement n’est pas sans risques car il suppose de prouver que la poursuite de la relation contractuelle est manifestement impossible. Il faut, pour cette raison, être en mesure d’établir, par exemple, qu’aucune possibilité de reclassement temporaire du salarié sur un autre emploi n’est possible, qu’aucune possibilité d’aménagement du poste du salarié n’est possible, etc.
Autre exemple. Un salarié chauffeur-livreur dont le permis a été retiré ne peut pas être valablement licencié si son activité consiste aussi à remplir des tâches sédentaires (préparation de commandes, chargement et déchargement des camions, etc.). En effet, le retrait de permis n’empêche pas la poursuite de ces tâches.
Une précaution nécessaire. Consultez votre convention collective qui peut contenir des dispositions spécifiques à ce sujet. Par exemple, la convention collective des transports routiers oblige l’employeur à reclasser sur un autre poste le salarié qui s’est vu retirer son permis, le temps de la suspension (un licenciement ne pourrait alors intervenir qu’en l’absence de reclassement possible, et pour autant que la preuve de cette impossibilité de reclassement est établie).
Le saviez-vous ?
Une clause du contrat de travail qui prévoirait que le retrait de permis constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement serait inopérante. Les juges ont, en effet, précisé qu’aucune clause du contrat ne peut valablement décider qu’une circonstance quelconque constituera en elle-même une cause de licenciement.
Vous ne pouvez donc pas prévoir dans le contrat une clause précisant que la perte du retrait de permis constitue une cause de licenciement !
Attention aux annulations de retrait de permis !
C’est possible ! Si vous êtes victime d’une mesure d’annulation ou de suspension de votre permis de conduire, rien ne vous interdit de contester cette sanction devant le juge administratif. Et si vos arguments sont convaincants, le retrait de permis pourra être annulé.
Une conséquence fâcheuse pour l’entreprise ? Imaginons que vous avez licencié un salarié suite à son retrait de permis. Si le juge administratif décide d’annuler ce retrait de permis, cette décision produit un effet rétroactif ; ainsi, même si le licenciement était fondé au moment où il a été prononcé, il se trouverait nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse en cas d’annulation du retrait. En clair, le permis étant supposé n’avoir jamais été retiré, le licenciement est donc fondé sur un motif injustifié puisque supposé n’avoir jamais existé…
A retenir
Si le retrait de permis est consécutif à des faits commis pendant le temps de travail, une sanction disciplinaire est possible. Ce ne sera pas le cas si le retrait de permis a eu lieu dans le cadre de la vie personnelle du salarié.
Analysez la situation afin d’envisager le cas échéant des mesures alternatives : prise de congés pendant la période de suspension, reclassement provisoire du salarié, etc.
- Articles L 121-1 à L 121-3 du Code de la Route (responsabilité infractions routières)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 24 janvier 1991, n° 88-45022 (retrait de permis pendant le temps de travail et faute grave admise)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 1er avril 2009, n°08-42071 (l’impossibilité d’exécuter son travail est une cause réelle et sérieuse de licenciement)
- Arrêts de la Cour de cassation, chambre sociale, du 13 juillet 2012 et du 13 décembre 2012, n°12-13522 (rétroactivité de l’annulation de retrait de permis)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 10 juillet 2013, n° 12-16878 (un salarié qui commet, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant un retrait de permis ne méconnaît pas ses obligations découlant de son contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 15 janvier 2014, n°12-22117 (la suspension du permis peut donner lieu à un licenciement pour motif personnel avec cause réelle et sérieuse)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 5 février 2014, n° 12-28897 (retrait de permis dans le cadre de la vie personnelle et faute grave)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 12 février 2014, n°12-11554 (le contrat ne peut pas décider que la perte du permis entraine le licenciement)
- Comité interministériel de la sécurité routière – 2 octobre 2015 (accès à la validité ou l’invalidité du permis de conduire d’un salarié)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 15 avril 2016, n° 15-12533 (retrait de permis et exécution de tâches sédentaires)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 28 février 2018, n° 17-11334 (suspension du permis et préavis non indemnisé)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 24 octobre 2018, n° 17-16099 (retrait de permis et licenciement)