Reconnaître le statut d’employeur et détecter le « coemploi »
Caractéristiques du contrat de travail
Une définition ? La Loi n’offre aucune définition du contrat de travail. Les juges ont donc été contraints de rechercher quelles sont ses caractéristiques pour esquisser une telle définition. Elles sont au nombre de 3. Ces critères sont cumulatifs.
1ère caractéristique : la prestation de travail. Une relation de travail se caractérise tout d’abord par une prestation de travail : l’existence d’un contrat de travail signé n’implique pas toujours une prestation de travail (dans le cadre d’un emploi fictif).
2ème caractéristique : le lien de subordination. La prestation de travail nécessaire à l’identification d’un contrat de travail doit être réalisée par une personne (le salarié) pour le compte d’une autre (l’employeur). Cet employeur dispose d’un pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du salarié, le cas échéant.
Illustration. Les juges ont déduit l’existence d’un lien de subordination entre une entreprise qui organise des sauts en parachute et un moniteur parce que la société :
- fournit elle-même les moyens matériels et humains à la réalisation des prestations ;
- fixe elle-même les tarifs ;
- contrôle le bon déroulement des prestations ;
- encadre les moniteurs ;
- dispose d’un pouvoir de sanction pouvant se manifester, notamment, par l’exclusion du moniteur qui ne donnerait pas satisfaction.
Cas des plateformes web-exemple 1. Une plateforme web a été reconnue comme employeur d’un coursier qui exerçait pourtant en qualité de travailleur indépendant : elle donnait effectivement de directives, pouvait en contrôler l’exécution via le dispositif de géolocalisation des livreurs et sanctionner leurs manquements en appliquant des pénalités, voire en résiliant le contrat.
Cas des plateformes web-exemple 2. Un chauffeur qui ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régis par la plateforme Web, n’a pas la qualité de travailleur indépendant. En revanche, s’il a intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la plateforme Web, il en est salarié.
A noter. Si le lien de subordination n’est pas nécessaire pour obtenir le statut de conjoint salarié, il est néanmoins indispensable d’avoir exercé de manière régulière une activité professionnelle dans l’entreprise du conjoint gérant.
3ème caractéristique : la rémunération. Aux 2 précédentes caractéristiques s’ajoute la rémunération. La prestation de travail accomplie pour le compte de l’employeur oblige celui-ci à rémunérer le salarié concerné. C’est d’ailleurs parce qu’il n’y a pas de prestation de travail exécutée que les absences injustifiées ne donnent pas lieu à rémunération.
Attention ! Peu importe la dénomination que vous donnerez au contrat, si les conditions d’exercice de l’activité professionnelle correspondent à une activité « salariée » (exercée dans un service organisé, sous la subordination de l’entreprise), il s’agit d’un contrat de travail. Cela a déjà été confirmé par le juge, même dans le cas où le titre de séjour du collaborateur (intervenant alors comme travailleur indépendant) lui interdisait l’exercice de toute activité salariée.
Le saviez-vous ?
Notez qu’on retrouve ces éléments dans le cadre du travail dissimulé : une personne effectue bien une tâche pour le compte d’une autre, moyennant une rémunération. Mais c’est parce que l’emploi n’est pas déclaré, que les rémunérations ne font pas l’objet d’un paiement de cotisations sociales, que l’emploi est dit « dissimulé », entraînant un risque important de sanctions.
Des présomptions de salariat. Parfois, le lien de subordination n’est pas évident à établir. Pour contourner la difficulté de la recherche des caractéristiques du contrat de travail, la Loi établit une liste de salariés présumés. Il s’agit :
- des travailleurs à domicile ;
- des VRP ;
- des journalistes ;
- des artistes du spectacle ;
- des mannequins ;
- des employés de maison ;
- des assistants maternels ;
- des concierges et employés d'immeubles ;
- des gérants de succursales.
Journaliste professionnel. Le journaliste professionnel est présumé salarié. Et pour être « journaliste professionnel », la personne doit avoir pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Il ne suffit pas de tirer l’essentiel de ses ressources de l’activité de journaliste pour prétendre au statut : encore faut-il que l’activité de journaliste soit exercée à titre principal, ce dont doit justifier l’auteur qui souhaite prétendre au statut de journaliste.
Exemple. Un salarié d’une entreprise d’édition a demandé et obtenu la qualification de journaliste professionnel après son licenciement. Pour le juge, le fait que le salarié exerce des fonctions principales journalistiques au sein de la société, dont l'activité est l'édition de revues et de périodiques, et qu’il en retire le principal de ses ressources financières, démontre que le statut de journaliste s’applique à ce dernier. La convention collective correspondante doit être appliquée au salarié.
Journaliste permanent ou non permanent ? Est journaliste permanent celui :
- qui collabore de manière régulière et permanente avec la même entreprise,
- qui perçoit une rémunération forfaitaire d’un montant relativement stable, ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges réalisées dans le mois ;
- qui n’a pas le choix de ses reportages et doit les réaliser en se conformant aux consignes qui lui sont données.
Exemple du dessinateur. Un dessinateur qui reçoit, chaque semaine, des instructions afin de réaliser les illustrations des thèmes choisis par la rédaction du quotidien et qui reçoit une rémunération mensuelle d’un montant assez constant pourra être considéré comme salarié.
En revanche… Sont présumés ne pas être des salariés :
- les personnes physiques immatriculées au RCS ou au RM, au registre des agents commerciaux ou auprès des Urssaf pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;
- les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transports scolaires ;
- les dirigeants de sociétés inscrites au RCS.
A noter. Lorsque vous recourez aux services d’un auto-entrepreneur ou d’un agent commercial, par exemple, ces professionnels ne sont pas présumés être des salariés. Toutefois, ils pourraient obtenir la requalification de leur contrat en contrat de travail s’il s’avérait qu’un lien de subordination était établi. C’est ce qui a été jugé pour un agent commercial pour lequel l’entreprise mandante mettait à disposition local et matériel, donnait des directives et en contrôlait l’exécution en imposant des réunions hebdomadaires, et disposait d’un pouvoir de sanction.
En revanche. En l’absence d’ordre ou de directive précise et en l’absence de contrôle et de sanction du non-respect des objectifs, et si l’autoentrepreneur reste libre de gérer son emploi du temps, le lien de subordination ne sera pas caractérisé. Peu importe alors qu’il participe aux repas de fête organisées par la société et aux formations qu’elle proposait.
Le saviez-vous ?
La déclaration préalable à l'embauche (DPAE) crée l’apparence d’un contrat de travail. Aussi, à partir du moment où une entreprise procède à la DPAE, l’existence d’un contrat de travail est présumée.
Attention au bénévolat ! Les juges ont déjà eu l’occasion de requalifier la relation entre une association et un « bénévole » en contrat de travail : ce fut le cas pour une association qui imposait à son bénévole la permanence de l’accueil de l’établissement, en lui octroyant 5 semaines de congés et en mettant gratuitement à sa disposition un logement attenant à l’établissement « pour mener à bien sa mission ».
Cas des sportifs. Est considéré comme un contrat de travail le contrat qui lie un club sportif et un joueur :
- imposant à ce dernier de participer, sous peine de sanctions disciplinaires, aux entraînements et aux compétitions, mais aussi à la politique de formation du club ;
- prévoyant le versement d’une indemnité mensuelle, même appelée « défraiement », en plus d’éventuelles « primes de match ».
Entraide familiale. D’une manière générale, l’Urssaf refuse de reconnaître l’entraide familiale dans le cadre d’activités à but lucratif, sauf circonstances très exceptionnelles. Elle est toutefois présumée lorsqu’elle est accomplie dans le cadre familial, de manière occasionnelle et spontanée, sans lien de subordination et bénévolement. L’aidant ne doit pas occuper un poste indispensable au fonctionnement normal de l’entreprise.
Entraide au sein du couple ? Une ex-épouse a pu obtenir la reconnaissance de son statut salarié parce qu’elle se livrait de manière habituelle à des activités liées au bon fonctionnement de l’entreprise de son mari, qui sollicitait souvent son assistance et lui donnait des consignes pour qu’elle accomplisse ses tâches. Elle assurait même, sur injonction de son mari, la communication commerciale de l’entreprise. Lors de leur séparation, elle a ainsi pu obtenir des rappels de salaires et des indemnités de rupture de son contrat de travail.
Associé et salarié ? Un vétérinaire, associé dans sa clinique, se prétendait titulaire d’un contrat de travail pour les fonctions techniques distinctes de son mandat social qu’il occupait en tant que vétérinaire. Mais, pour le juge, il ne rapportait pas la preuve de l’existence d’un lien de subordination, caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Identification de l’employeur
Un employeur ? Un salarié est généralement embauché par un employeur. Cet employeur est la personne qui dispose du pouvoir de direction : celle qui donne les directives, en suit l’exécution et celle qui peut sanctionner les manquements. Néanmoins, il peut arriver qu’un salarié ait plusieurs employeurs…
Parfois des employeurs. Pour les salariés à temps partiel, exerçant leur activité pour plusieurs entreprises, chaque employeur sait qu’il dispose de ce statut : c’est d’ailleurs lui qui l’a généralement recruté, qui peut mettre un terme au contrat de travail et qui paye les cotisations sociales afférentes à la rémunération du salarié. Cependant, il existe également une situation dans laquelle un salarié, titulaire d’un seul contrat de travail, sera lié à plusieurs employeurs. C’est ce qu’on appelle le « coemploi ».
Dans les groupes… En l’absence de lien de subordination, une société appartenant au même groupe que l’employeur ne peut être qualifiée de coemployeur que si elle s’immisce de manière permanente dans la gestion économique et sociale de l’entreprise employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière. L’immixtion permanente est celle qui remplit les conditions cumulatives suivantes :
- elle va au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés du groupe ;
- elle va au-delà de l’état de domination économique résultant de l’appartenance au groupe.
Externalisation d’une prestation. Il n’y a pas de situation de coemploi, par exemple, lorsqu’un hôtel choisit de confier l'activité de nettoyage à une société de nettoyage spécialisée dans l'activité de nettoyage des hôtels de luxe et palaces et ayant un savoir-faire spécifique dans ce domaine, dans le cadre d’un contrat de prestations de service prévoyant :
- que la prestataire s'engage à fournir et exécuter les prestations de nettoyage des chambres et des lieux publics de l'hôtel par un personnel qualifié, en fournissant les produits et le matériel nécessaires,
- qu’elle assure une permanence d'encadrement ;
- qu'elle assume l'entière responsabilité du recrutement et de l'administration de son personnel, ainsi que de manière générale, de toutes les obligations qui lui incombent en qualité d'employeur.
Le saviez-vous ?
Tous les employeurs sont responsables de la bonne exécution du contrat et débiteurs des sommes dues au salarié. De ce fait, ce dernier peut agir indistinctement contre l’un ou l’autre employeur.
Dans une association. Ce sont les statuts qui régissent la vie associative. Si les statuts ne règlent pas la question du pouvoir disciplinaire, ce pouvoir entre dans les attributions du président de l’association (il a été admis que le fait que les statuts confèrent expressément au conseil d’administration la compétence du recrutement n’a aucune incidence sur le pouvoir de licencier, qui, dans cette hypothèse, reste de la compétence du président dans le silence des statuts). Mais dans pareil cas, le président peut aussi choisir de déléguer ce pouvoir disciplinaire.
=> Pour en savoir plus, consultez notre fiche : Déléguer ses pouvoirs d’employeur
Dans une copropriété. Si le syndic procède effectivement à l’embauche d’un employé d’immeuble pour le compte d’une copropriété, l’action du salarié qui n’est pas dirigée contre le syndicat des copropriétaires représenté par son syndic mais contre ce dernier directement est irrecevable.
A retenir
L’existence d’un contrat de travail écrit n’implique pas nécessairement une réelle relation de travail. A l’inverse, l’absence de contrat de travail écrit n’implique pas qu’il n’y a pas de relation de travail. Aussi, en cas de contentieux, le juge doit rechercher si les éléments qui caractérisent le contrat de travail sont effectivement réunis.Ces informations doivent permettre de déterminer qui est l’employeur et, par conséquent, qui est responsable de la bonne exécution du contrat de travail.
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 17 novembre 2004, n° 02-44337 (coemploi reconnu entre partenaires d’affaires)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 1er juillet 2009, n° 08-40513 (lien de subordination et pouvoir de direction)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 6 juillet 2016, n° 14-27266 (exemple d’une non-immixtion d’une société mère dans la gestion économique et sociale d’une filiale)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 6 juillet 2016, n° 14-26541 (exemple d’une non-immixtion d’une société mère dans la gestion économique et sociale d’une filiale)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 6 juillet 2016, n° 15-15481 (exemple d’une immixtion d’une société mère dans la gestion économique et sociale d’une filiale)
- Arrêts de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 26 septembre 2016, n° 15-10105 et n° 15-10111 (requalification du contrat d’agent commercial en contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 9 juin 2017, n° 16-14358 (la DPAE crée l’apparence d’un contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 20 décembre 2017, n° 16-20646 (contrat de bénévole et contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 28 février 2018, n° 16-15960 (illustration lien de subordination avec un moniteur de saut en parachute)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 14 mars 2018, n° 16-12578 (président d’association et pouvoir de licencier)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 14 février 2018, n° 16-15640 (requalification du contrat d’agent commercial en contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 24 mai 2018, n° 16-18604 (absence de coemploi)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 24 mai 2018, n° 17-15630 (absence de coemploi)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 12 juillet 2018, n° 17-20266 (statut de conjoint salarié)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 7 novembre 2018, n° 17-18800 (pouvoir du président d’une association)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 28 novembre 2018, n° 17-20079 (plateforme web et requalification de la relation en contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 28 novembre 2018, n° 17-20036 (exemple de contrat de travail liant un joueur à son club de rugby)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 6 février 2019, n° 16-19881 (journaliste pigiste permanent)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 13 février 2019, n° 17-15903 (groupe de sociétés)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 27 mars 2019, n° 18-10043 (statut salarié de l’ex-femme du gérant)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 3 juillet 2019, n° 17-21868 (absence de requalification en contrat de travail sans lien de subordination caractérisé)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 22 janvier 2020, n° 17-13498 (exemple du gérant de SARL exerçant une activité salariée dans sa SARL)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 12 février 2020, n° 18-10263 (exemple du dessinateur)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 4 mars 2020, n° 19-13316(plateforme web et requalification de la relation en contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 4 mars 2020, n° 18-10636 (externalisation d’une prestation)
- Arrêts de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 24 juin 2020, n° 19-13476 et 18-26088 (plateforme web et requalification de la relation en contrat de travail)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 23 septembre 2020, n° 18-26097 (auteur non considéré comme journaliste)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 30 septembre 2020, n° 19-10677 (exemple d’un consultant avec titre de séjour interdisant l’activité salariée)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 21 octobre 2020, n° 19-16352 (exemple d’un vétérinaire associé se prétendant salarié)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 25 novembre 2020, n°18-13769 (nouvelle définition des éléments constitutifs du coemploi)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 13 janvier 2021, n° 19-22142 (syndic de copropriété)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 27 janvier 2021, n°19-19986 (reconnaissance statut de journaliste)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 17 novembre 2021, n°20-11736 (absence de lien de subordination pour un associé)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 16 novembre 2022, n° 21-17030 (existence d’un lien de subordination et donc existence d’une situation de co-emploi)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 24 mai 2023, n° 22-10207 (une association reconnue véritable employeur d’une salariée aide à domicile qui était employée par des particuliers)