Vendre un immeuble en bloc et droit de préemption du locataire : mode d’emploi
Droit de préemption : une obligation ?
C’est quoi ? Le droit de préemption est la possibilité pour le locataire d’acheter en priorité le logement qu’il occupe et mis en vente par le propriétaire. La Loi prévoit et encadre ce droit de préemption et a envisagé plusieurs hypothèses autorisant le locataire à préempter le logement qu’il occupe, dont l’une est la préemption lors de la vente d’un immeuble de plus de 5 logements dans sa totalité et en une seule fois.
Principe. Il s’agit d’une protection en cas de vente à la découpe de l’immeuble par le propriétaire. Lorsque votre client décide de vendre en bloc un immeuble lui appartenant (contenant plus de 5 logements), et si l’acquéreur ne s’engage pas à prolonger les contrats de location en cours au moment de la vente, le locataire en place possède un droit de préemption. Ce droit de préemption suppose que le bail dont il dispose court encore pour une durée d’au moins 6 ans, au moment de la signature de la vente.
Attention. Le droit de préemption peut être exclu en cas de :
- vente entre parents ou alliés (jusqu’au 4ème degré) ;
- vente à un HLM ;
- vente à un acquéreur qui offre des garanties au locataire du maintien du bail.
Le saviez-vous ?
Lorsque vous vendez un immeuble de plus de 5 logements, pour que vos locataires puissent bénéficier d’un droit de préemption, il faut que ces logements remplissent les critères de décence. Si, par exemple, votre immeuble est composé de 8 logements mais que 4 sont indécents, il n’y a alors pas de droit de préemption au profit de vos locataires.
=> Pour en savoir plus, consultez notre fiche « Louer un logement décent : des critères à connaître »
Ne pas confondre. Il ne faut pas confondre le droit de préemption du locataire et le droit de préemption qui profite à la commune. Rappelons que lors de la vente d’un logement, vous devez obligatoirement informer la commune de votre intention de vendre pour que celle-ci puisse, le cas échéant, se porter acquéreur : elle bénéficie d’une priorité à l’achat du bien vendu.
Droit de préemption : un formalisme strict
Pourquoi ? L’objectif du droit de préemption est de protéger le locataire. Parce qu’il s’agit d’un droit pour lui, vous devez le mettre en mesure de pouvoir l’exercer. Comment ?
Comment ? Au moment de la mise en vente du logement, vous devez la notifier à chacun des locataires par lettre recommandée avec avis de réception. Cette notification comporte des conditions et mentions impératives, à savoir notamment :
- l’indication de vos coordonnées et de votre identité ;
- l’information selon laquelle il dispose d’un droit de préemption ;
- l’identification de l’objet de la vente (en présence d’une copropriété, mentionnez les tantièmes de propriété) ;
- l’indication du prix et des conditions de la vente projetée (attention : le prix doit être indiqué hors honoraires de négociation ; à défaut, la notification est nulle) ;
- la reproduction de la mention obligatoire suivante : « Préalablement à la conclusion de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel de plus de cinq logements au profit d'un acquéreur ne s'engageant pas à proroger les contrats de bail à usage d'habitation en cours à la date de la conclusion de la vente afin de permettre à chaque locataire ou occupant de bonne foi de disposer du logement qu'il occupe pour une durée de six ans à compter de la signature de l'acte authentique de vente qui contiendra la liste des locataires concernés par un engagement de prorogation de bail, le bailleur doit faire connaître par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à chacun des locataires ou occupants de bonne foi l'indication du prix et des conditions de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, de l'immeuble ainsi que l'indication du prix et des conditions de la vente pour le local qu'il occupe » ;
- l’indication du projet de règlement de copropriété ;
- les diagnostics techniques portant constat de l’état apparent de la solidité du clos et du couvert et de celui de l’état des conduits et canalisations collectives ainsi que des équipements communs et de sécurité.
Le droit d’option. Suite à la notification, le locataire dispose d’un délai de 2 mois pour décider de préempter ou non. Le refus peut résulter soit d’une réponse expresse, soit d’un silence durant le délai.
S’il accepte… En cas d’acceptation (faite par lettre recommandée avec avis de réception, par commissaire de justice ou par remise contre décharge), le locataire a 2 mois pour conclure l’achat du bien (le délai passe à 4 mois si le locataire doit contracter un prêt). Si le délai est dépassé, la vente est nulle (sauf si le locataire a dû faire face à un cas de force majeure ou une cause légitime).
Attention. Il ne doit pas s’agir d’une contre-proposition : pour être valable, l’acceptation doit être pure et simple, sans réserve ni conditions.
Le saviez-vous ?
Suite au refus du locataire, vous devez prévenir la mairie que le locataire ne préempte pas. La mairie peut alors décider de racheter le bien au prix indiqué ou proposer un prix différent pour maintenir le locataire dans les lieux. Si vous refusez le prix proposé, c’est alors au juge de l’expropriation de décider du montant du prix. Si vous ne prévenez pas la mairie, la vente est nulle.
Droit de préemption subsidiaire. Si, suite au refus de préempter du locataire, le prix et les conditions de la vente changent, il dispose d’un nouveau droit de préemption, appelé « droit de préemption subsidiaire ». Le bailleur (ou le notaire) doit le prévenir dans les mêmes conditions et formes que pour la 1ère notification. Seule différence : le délai de réflexion est réduit à 1 mois.
Droit de préemption concurrent. Il a été jugé que le pacte de préférence concédé à un tiers devait s’effacer devant le droit de préemption d’un locataire.
Quelles sanctions ? La sanction du non-respect du droit de préemption du locataire est la nullité de la vente. Le locataire n’a pas de faculté de substitution.
Renonciation au droit de préemption. Le droit de préemption est d’ordre public. Un locataire ne peut donc pas renoncer à l’exercice de ce droit dans un compromis de vente.
Droit de préemption : la particularité de la vente après mise aux enchères
L’adjudication. Elle consiste en l’attribution d'un bien mis aux enchères par le juge ou l'officier ministériel (le notaire) qui procède à la vente. Une procédure doit être respectée vis-à-vis du locataire :
- convocation à l’adjudication par lettre recommandée avec avis de réception au moins 1 mois avant la vente ;
- indication du montant de la mise à prix ;
- indication du jour, du lieu et de l’heure de l’adjudication ;
- précision sur la personne qui met en vente le bien (juge ou notaire) ; si c’est un juge, la représentation par avocat est obligatoire.
Conséquence pour le locataire. Si le locataire accepte le prix de vente indiqué dans la notification, il n’y a pas d’adjudication et la vente se fait dans les délais et conditions prévues comme pour une vente amiable. Si, suite à l’adjudication, le prix atteint est inférieur à ce qui était indiqué dans la notification préalable, le locataire a un droit de préemption subsidiaire.
Attention. En cas de non-respect de la procédure d’adjudication, le locataire a la possibilité de se substituer dans un délai de 1 mois à la personne qui a finalement acheté le bien aux enchères (sauf si le bien était détenu en indivision et l’acquéreur est un des indivisaires). Il n’y a pas de faculté de substitution en présence d’une simple omission d’indication dans la notification.
À retenir
La vente en totalité et en une seule fois d’un immeuble de plus de 5 logements constitue l’une des possibilités qui ouvre au locataire un droit de préemption : ce droit lui offre une priorité d’achat du logement vendu au prix et conditions fixées par le propriétaire.
Respectez scrupuleusement ce droit bénéficiant au locataire, au risque de voir la vente finalement annulée !
- Loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 15 novembre 2006, n° 04-15679 (pas de substitution en cas de nullité de la vente)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 17 décembre 2008, n° 07-15943 (notification avec indication d’un prix honoraires de négociation)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile du 11 février 2016, n° 14-25682 (prise en compte de la notion de logement décent)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 24 mars 2016, n° 15-10004 (droit de préemption et droit de préférence)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 5 avril 2018, n° 16-23742 (pas de renonciation au droit de préemption dans le compromis de vente)