Faire face à un mouvement de grève
Grève des salariés : définition
Un droit individuel exercé collectivement… Le droit de grève est reconnu à chaque salarié, et vigoureusement protégé par la Constitution et la Loi. Chaque salarié a le droit de participer à un mouvement collectif de cessation du travail, pendant lequel il a droit à une protection particulière, sous réserve qu’il déclare à l’employeur son intention d’y participer (selon des modalités librement définies par l’employeur).
Qu’est-ce qu’une grève ? Le mouvement de grève répond à 3 critères cumulatifs :
- une cessation collective du travail ;
- une cessation concertée du travail ;
- une cessation du travail pour des revendications professionnelles (conditions de travail, hygiène et sécurité, droits syndicaux…).
Un mouvement collectif. La grève est obligatoirement collective, elle doit donc, au minimum, réunir 2 salariés de l’entreprise. La grève d’un seul salarié ne peut donc pas être reconnue, sauf s’il s’agit de l’unique salarié de l’entreprise ou si le salarié participe à une grève nationale. Notez également que la grève n’a pas à être suivie par une majorité des salariés de l’entreprise pour être valable.
Un appel des syndicats ? L’appel à la grève n’est pas obligatoirement lancé par les syndicats professionnels : il peut également l’être à l’initiative des salariés eux-mêmes. Notez également que la grève n’a pas à être précédée d’un préavis (sauf pour les entreprises qui exercent une mission de service public ou les entreprises de transport aérien, par exemple). Néanmoins, l’employeur doit être informé des revendications professionnelles des grévistes au moment de l’arrêt de travail.
Le saviez-vous ?
Le préavis de grève établi par un ou plusieurs syndicats représentatifs est une étape préalable obligatoire à toute grève du personnel des entreprises privées gérant un service public (notamment dans le secteur des transports urbains de voyageurs). Le préavis doit être communiqué au moins 5 jours avant le début de la grève pour permettre aux parties d’entamer une négociation.
Cesser totalement le travail. Le mouvement de grève n’est valable et licite que si les salariés cessent totalement leur travail. Ainsi, une grève perlée (qui consiste en un ralentissement de la cadence ou de la production) est illicite, tandis que les débrayages (qui consistent en un arrêt momentané de la production, plusieurs fois dans la journée) est licite.
Durée d’une grève. Une grève n’a pas de durée minimale, ni maximale. Une action peut durer 5 minutes, à l’occasion d’un débrayage par exemple, ou plusieurs mois.
Cas de grèves illicites… Certains mouvements sont illicites, tels que la grève perlée, la grève de zèle (ralentir ou paralyser le travail par un travail trop minutieux), la cessation d’une tâche particulière, la grève de solidarité (afin de soutenir un salarié licencié ou menacé de sanction). Les mouvements illicites sont ceux qui ont pour but de désorganiser l’entreprise (et non sa seule production). L’employeur pourra sanctionner les salariés qui participent à une grève illicite.
Grève des salariés : quelles conséquences ?
Baisse de la productivité. Intrinsèquement, la grève a pour but de faire baisser la production de l’entreprise par un arrêt du travail afin d’exercer une pression sociale sur l’employeur. Cependant, l’arrêt de travail des salariés n’est pas sans conséquences sur leur salaire…
Une absence non rémunérée. L’employeur n’a pas l’obligation de maintenir la rémunération de ses salariés grévistes pendant la durée du mouvement. En effet, pendant la durée de la grève, les contrats de travail des grévistes sont suspendus.
Le saviez-vous ?
La grève ne suspend pas le mandat du représentant du personnel. Aussi, celui-ci doit être rémunéré des heures de délégations accomplies au cours de la grève.
Quel montant ? Le montant de la retenue sur salaire doit être strictement proportionnel à la durée de la participation du salarié au mouvement de grève. La rémunération doit reprendre dès le retour du salarié dans l’entreprise. L’employeur ne pourra pas retenir sur le salaire des grévistes la perte de production liée au mouvement de grève.
A noter. Il est possible que l’employeur soit tenu de verser les salaires des grévistes pendant leur absence liée à la grève dans 2 situations. D’une part, un accord de fin de conflit peut prévoir que la rémunération des grévistes sera maintenue. D’autre part, si les salariés ont dû cesser leur travail du fait d’un manquement grave et délibéré de l’employeur, l’entreprise devra leur verser intégralement leur salaire, y compris pendant la période couverte par le mouvement de grève. Mais cela suppose toutefois de prouver le manquement grave et délibéré de l’employeur… Tel ne sera pas le cas lorsqu’un retard dans le versement du salaire résulte de difficultés économiques et non d’un comportement délibéré de l’employeur.
Grève dans les entreprises de transports aérien. Des règles particulières s’appliquent pour les pilotes d’avion, effectuant des missions de rotations sur plusieurs jours. Dans une affaire récente, une compagnie aérienne a procédé à une retenue sur salaire de 3 jours (la journée de grève ainsi que les 2 jours suivants), correspondant à la durée de la rotation prévue au planning. Une retenue sur salaire confirmée par le juge : parce que l’unique jour de grève du pilote a conduit à la suppression de la rotation dans son ensemble, ce dernier ne peut pas prétendre au paiement de son salaires pour les deux jours suivants de la rotation. Cela résulte du fait que dans le transport aérien, les missions de rotation des pilotes s’effectuent sur plusieurs jours qui représentent un ensemble indivisible.
Grève dans les entreprises exerçant une mission de service public. Les règles applicables aux entreprises qui exercent une mission de service public peuvent différer. Toutefois, le juge a eu l’occasion de préciser qu’il ne s’agit pas de tenir compte uniquement du fait que l’entreprise exerce une mission de service public mais des règles spécifiques applicables à son secteur, s’il y en a. A défaut de règle spécifique au secteur, comme il peut en exister dans le secteur des transports publics de voyageurs par exemple (qui prévoit une retenue proportionnelle à la durée de la participation du salarié à la grève), l’employeur retiendra, pour chaque journée de grève :
- lorsque l’arrêt de travail pour grève n'excède pas une heure, 1/60e de sa rémunération mensuelle ;
- lorsqu'elle dépasse une heure, sans excéder une demi-journée, 1/50e de sa rémunération mensuelle ;
- lorsqu'elle dépasse une demi-journée sans excéder une journée, 1/30e de sa rémunération mensuelle.
Réduire une prime d’assiduité ? Si une prime d’assiduité a été instaurée dans l’entreprise, il est possible de tenir compte des absences des salariés grévistes à condition que toutes les absences (hormis celles légalement assimilées à du temps de travail effectif) entraînent une diminution de la prime.
Accorder une prime… aux non-grévistes ? Il est strictement interdit d’accorder une prime, ou une avance sur salaire en contrepartie de l’engagement du salarié de ne pas cesser le travail. Ces primes sont illicites et constituent une discrimination envers les grévistes sauf s’il est clairement établi qu’elles sont versées notamment à certain des salariés non-grévistes qui ont accepté de réaliser des tâches en dehors de celles prévues par leur contrat de travail pour pallier l’absence des salariés grévistes.
Récupérer les heures perdues ? Il est interdit de faire récupérer les heures perdues du fait de la grève, sauf si un accord de fin de conflit le prévoit. Cependant, l’employeur peut faire récupérer les heures perdues du fait d’un mouvement de grève extérieur à l’entreprise (à cause d’une grève des transports par exemple).
Grève des salariés : comment réagir ?
Faire face à la baisse de production. En tant qu’employeur, vous devez continuer à fournir du travail aux salariés non-grévistes, mais également à maintenir la production de l’entreprise. La question se pose de comment y parvenir ? Recruter ? Remplacer les absents ?
Remplacer les absents ? Vous ne pouvez pas recruter de nouveaux salariés sous contrat à durée déterminée ou en intérim pour remplacer les salariés grévistes. Vous ne pouvez pas non plus affecter d’autres salariés de l’entreprise aux postes vacants et les remplacer eux-mêmes grâce au recrutement de salariés en CDD ou en intérim.
Utiliser les forces de l’entreprise. Il est tout à fait possible de réorganiser le travail de l’entreprise, afin d’affecter les salariés non-grévistes aux postes des salariés grévistes, le temps du mouvement social et sans diminution de salaire. Vous pouvez, par ailleurs, avoir recours au bénévolat ou faire appel à une société de sous-traitance.
Le saviez-vous ?
Les entreprises de transport aérien doivent recevoir des déclarations individuelles des salariés qui ont l’intention de participer à la grève. Ces déclarations doivent permettre d’informer les passagers, mais l’employeur ne peut pas les utiliser dans le but de reconstituer ses équipages et de réaménager le trafic, à moins qu’il ne soit soumis à une obligation de service minimum.
Sanctionner ? Par principe, vous ne pouvez pas sanctionner (et donc licencier) un salarié parce qu’il participe à un mouvement de grève. Cependant, vous pouvez sanctionner un gréviste qui commet une faute au cours de la grève, mais uniquement sur le terrain de la faute lourde.
Faute lourde… La faute lourde peut être retenue si vous estimez qu’un salarié a commis une faute dans l’intention de vous nuire ou dans l’intention de désorganiser l’entreprise. Notez que seuls les grévistes qui participent personnellement et activement aux actes fautifs peuvent être sanctionnés pour faute lourde.
Le saviez-vous ?
Le seul fait d’encourager un mouvement de grève, fût-ce pour des raisons personnelles, ne suffit pas à caractériser une faute lourde. Même si l’incitation provient d’un cadre dirigeant.
Attention ! Le licenciement ou la sanction d’un salarié gréviste, en dehors de toute faute lourde, est nul de plein droit. Le salarié peut alors prétendre à sa réintégration dans l’entreprise ainsi qu’au paiement d’une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait dû recevoir entre son licenciement et sa réintégration.
Exemple. Un salarié gréviste qui porte atteinte à la liberté de travailler des autres salariés a un comportement fautif. Il a été jugé que la faute lourde était caractérisée lorsqu’un salarié gréviste d’une entreprise de transport a personnellement entravé la libre circulation des véhicules et désorganisé l’entreprise en bloquant l’entrée et la sortie du dépôt, en refusant de libérer le passage malgré les sommations de son employeur. Son licenciement pour ce motif a donc été validé.
Attention ! La nullité du licenciement d'un salarié n'est pas limitée au cas où le licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève. Elle s’étend, au contraire, à tout licenciement prononcé à raison d'un fait commis au cours de la grève et qui ne constitue pas une faute lourde.
Le saviez-vous ?
Notez qu’un accord de fin de conflit peut empêcher de licencier un salarié non-gréviste pour des faits commis par lui en lien avec une grève.
Entamer des négociations. La grève permet à vos salariés de se faire entendre et de faire entendre leurs revendications professionnelles. Ouvrez les négociations afin de désamorcer le conflit et de reprendre au plus vite l’activité de l’entreprise.
A retenir
La grève est un moyen pour vos salariés de faire entendre, collectivement, leurs revendications professionnelles. Pendant cette période, les grévistes bénéficient d’une protection particulière, notamment contre la discrimination.
- Article L 2511-1 du Code du travail
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 16 mai 1989, n° 85-43359 (grève perlée)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 16 mai 1989, n° 86-43399 (pas de retenue sur salaire pour la perte de production liée à la grève)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 30 mai 1989, n° 86-16765 (grève de solidarité illicite)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 10 juillet 1991, n° 89-43147 (retenue sur salaire proportionnelle)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 7 avril 1993, n° 91-16834 (désorganisation de la production de l’entreprise)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 18 janvier 1995, n° 91-10476 (abus du droit de grève)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 13 novembre 1996, n° 93-42247 (grève d’un seul salarié)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 11 janvier 2000, n° 97-22025 (recours à des bénévoles)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 2 février 2006, n° 03-47481 (indemnité en cas de réintégration)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 23 juin 2009, n° 07-42677 (réduction de la prime d’assiduité)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 25 janvier 2011, n° 09-69030 (opération de débrayage)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 26 mars 2014, n° 12-27051 (pas de faute lourde d’un cadre dirigeant pour avoir encouragé à la grève)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 23 mars 2017, n° 15-26835 (modalités de grève dans les entreprises de transports exerçant une mission de service public)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 12 octobre 2017, n° 16-12550 (réorganisation de l’activité après déclarations individuelles d’intention de grève et transport aérien)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 13 décembre 2017, n° 16-19042 (la grève ne suspend pas le mandat des représentants du personnel)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 5 juillet 2018, n° 16-21563 (nullité du licenciement prononcé à raison d’un fait commis au cours d’une grève)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 14 octobre 2020, n° 18-24765 (retard dans le paiement du salaire et exercice du droit de grève)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 18 novembre 2020, n° 19-20545 (calcul de la retenue sur salaire pour grève dans les transports publics)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 9 juin 2021, n° 19-22392 (modalités de déclaration d’intention de participer à un mouvement de grève)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 8 septembre 2021, n° 19-21025 (retenue sur salaire et salariés de transports aériens effectuant des missions de rotation)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 29 septembre 2021, n° 20-12259 (licenciement pour faute grave et faits se déroulant pendant une grève)
- Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 20 octobre 2021, n°19-21475 (exercice abusif du droit de grève)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 6 avril 2022, n°20-21586 (grève pour contester le licenciement d’un collègue)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 23 novembre 2022 n°21-1972 (l’incitation à la grève ne justifie pas un licenciement)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 3 avril 2024, n° 22-23321 (prime exceptionnelle aux salariés non-grévistes)