Le point sur la « cessation des paiements »
La cessation des paiements : un moment clé
Le principe. On parle de « cessation des paiements » lorsqu’une entreprise ne peut plus régler ses dettes (appelées « passif exigible ») avec son actif disponible (c‘est-à-dire tout ce qui peut être transformé en liquidités dans l’immédiat ou à très court terme, comme sa trésorerie ou ses réserves de crédit).
Pour la petite histoire. Le juge a rappelé que le gain résultant de la vente, par une SCI, d’un bien immobilier ne constitue un « actif disponible » devant être pris en compte dans le cadre de la cessation des paiements qu’à la condition d’avoir été effectivement encaissé au jour où le juge se prononce sur l’ouverture de la procédure collective.
Dans cette affaire, un syndicat de copropriétaires demande l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre d’une SCI qui n’a pas réglé les charges de copropriété dues pour un immeuble dont elle est propriétaire.
« Sauf que je ne suis pas en état de cessation des paiements », rétorque la SCI qui se prévaut de la vente de l’immeuble en question, la veille du jugement d’ouverture de la procédure collective, pour souligner que le montant de son actif disponible excède celui de ses dettes.
Qu’en dit le juge ? Une position que ne partage toutefois pas le juge, puisque le prix de vente du bien n’a pas encore été encaissé par la SCI.
Focus sur le « passif exigible ». Le « passif exigible » de la société est constitué de l’ensemble des dettes de l’entreprise qui sont arrivées à terme, et dont les créanciers peuvent réclamer immédiatement le paiement. Les dettes concernées sont celles qui sont certaines (c’est-à-dire non-contestées par l’entreprise) et qui ont un montant déterminé. Il peut s’agir des factures arrivées à échéances, des salaires à verser, etc.
Le saviez-vous ?
Une entreprise qui obtient un délai de paiement de la part de ses créanciers lui permettant d’étaler le paiement de ses dettes n’est pas considérée comme étant en état de cessation des paiements.
Qui peut se déclarer en cessation des paiements ? Toute personne qui exerce une activité commerciale, artisanale ou agricole, toute EIRL, micro-entrepreneur, personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante (comme par exemple une profession libérale), société ou association peut se déclarer en état de cessation des paiements.
La cessation des paiements : la marche à suivre
Déclaration de cessation des paiements. L’entreprise qui se trouve en cessation des paiements doit impérativement effectuer une déclaration de son état auprès :
- du tribunal de commerce s’il s’agit d’un commerçant, d’une société commerciale ou d’un artisan ;
- du greffe du tribunal judiciaire du lieu du siège de l’entreprise, dans les autres cas (exploitations agricoles, professions libérales, etc.).
Auteur de la déclaration de cessation des paiements. La déclaration de cessation des paiements doit être effectuée par le représentant légal de l’entreprise (gérant, directeur général, président de SAS, etc.).
Et en cas de cogérance ? En cas de cogérance, la déclaration de cessation des paiements doit être effectuée par l’un des co-gérants de la société.
À noter. Dès lors qu’elle est en cessation des paiements, une entreprise ne peut plus solliciter l’ouverture d’une procédure de sauvegarde judiciaire, ou de mandat ad hoc.
Attention au délai ! La déclaration doit obligatoirement être effectuée dans un délai maximum de 45 jours suivant la date de cessation des paiements.
Bon à savoir. Cette déclaration n’est toutefois pas obligatoire si, dans ce délai de 45 jours, la société a demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation. Pour rappel, cette procédure vise à la désignation d’un conciliateur devant servir d’intermédiaire avec les créanciers de la société.
Modalités de la déclaration de cessation des paiements. La déclaration de cessation des paiements doit être faite via le formulaire Cerfa n°10530*01.
Documents joints à la demande. Le dossier de cessation des paiements doit comporter les éléments suivants :
- l’extrait d’immatriculation au Registre du commerce et des sociétés (Kbis) ou au Registre national des entreprises (RNE) de moins de 7 jours ;
- les comptes annuels du dernier exercice clos et le montant du chiffre d’affaires à la clôture du dernier exercice comptable ;
- l’état du passif exigible et de l’actif disponible ;
- une situation de trésorerie datant de moins d’un mois ;
- l’état chiffré des créances et dettes datant de moins de 7 jours, avec les nom et domicile des créanciers, et, pour les salariés, le montant global des sommes impayées ;
- l’état actif et passif des sûretés (garanties) et les engagements hors bilan de moins de 7 jours ;
- la copie de la pièce d’identité du chef d’entreprise ou du représentant légal ;
- le nombre de salariés employés, avec leurs nom et adresse ;
- l’inventaire des biens de l’entreprise daté de moins de 7 jours, ou des biens affectés à l’exercice de son activité en cas de patrimoine affecté (EIRL, EI) ;
- les noms et l’adresse des représentants du comité d’entreprise ou des délégués du personnel habilités à être entendus par le tribunal, s’ils ont déjà été désignés ;
- une attestation sur l’honneur certifiant l’absence de mandat ad hoc ou de procédure de conciliation dans les 18 mois précédant la date de demande, ou à défaut, la date de la désignation du mandataire ad hoc ou de l’ouverture de la procédure de conciliation.
À noter. Si des membres de la société sont responsables solidairement de ses dettes, les nom et domicile de ceux-ci doivent également être joints à la demande. La liste doit dater de moins de 7 jours.
Installations classées. Si l’entreprise exploite elle-même une ou plusieurs installation(s) classée(s) pour la protection de l’environnement (par exemple pour la prévention des pollutions), elle doit également joindre copie de l’autorisation ou de la déclaration d’exploitation desdites / de ladite installation(s).
Professions libérales. Si l’entreprise exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou règlementaire ou dont le titre est protégé, la demande doit également désigner l’ordre professionnel ou l’autorité dont elle relève.
Bon à savoir. Lorsqu’elle est faite pour une société, la déclaration de cessation des paiements doit mentionner les nom et prénom des associés ou actionnaires, ainsi que leur nombre de parts ou d’actions, ou leur pourcentage de détention du capital.
Le saviez-vous ?
L’absence de déclaration de la cessation des paiements ou sa déclaration tardive peut être considérée comme une faute de gestion pour le dirigeant : celui-ci pourra donc être sanctionné financièrement sur ses biens personnels.
Convocation du chef d’entreprise. Le tribunal qui a reçu la déclaration de cessation des paiements convoquera le chef d’entreprise, pour recueillir ses observations.
La cessation des paiements : les effets
Décision de cessation des paiements. Suite à la demande, le tribunal rend une décision qui fixe la date de cessation des paiements (c’est-à-dire du moment où elle n’a plus pu faire face à son passif exigible avec son actif disponible) et ouvre une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire selon la nature et la gravité des difficultés rencontrées par l’entreprise.
À noter. La situation de cessation des paiements de l’entreprise s’apprécie au jour où le tribunal statue.
Pour la petite histoire. Le dirigeant d’une société placée en redressement judiciaire décide de contester la mise en place de la procédure, en saisissant le juge. Avant que celui-ci ne se soit prononcé, il décide de réaliser un apport en compte courant d’associé, destiné à renflouer la trésorerie de la société avant le prononcé du jugement. Sauf, rétorque le juge, que la gestion même de la société présente diverses anomalies : celle-ci ne dispose pas, en effet, d’un compte bancaire, ne produit pas de compte d’exploitation ni de document provisionnel, ses charges sont réglées par le dirigeant ou un tiers, etc. Autant d’éléments qui prouvent, selon le juge, que l’apport en compte courant réalisé par le dirigeant constitue un financement « anormal » de la société, dont l’objectif est de masquer la persistance de l’état de cessation des paiements.
Date de cessation des paiements. La date de cessation des paiements arrêtée par le tribunal peut être modifiée par la suite, sans toutefois pouvoir être antérieure :
- de plus de 18 mois à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective ;
- à la décision ayant homologué un accord amiable conclu dans le cadre d’une procédure de conciliation (sauf en cas de fraude).
Vente de titres et cessation des paiements. Il a été jugé que l’acquéreur de titres sociaux d’une société mise en liquidation judiciaire peut obtenir l’annulation de la vente si la date de cessation des paiements a été fixée avant la vente par le tribunal, et qu’il n’a pas été informé de la gravité de la situation par les cédants
Période « suspecte ». La date de cessation des paiements permet aussi de délimiter la période dite « suspecte ».
En pratique. Cette période s’écoule à compter de la date de cessation des paiements fixée par le tribunal et le jour du jugement d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Si des actes anormaux sont commis par le dirigeant ou des tiers pendant cette période, ils peuvent être considérés comme nuls, ou du moins être susceptibles d’annulation.
Par exemple. Constituent des actes anormaux pendant la période « suspecte » :
- le fait, pour un dirigeant, d’avoir payé un créancier au détriment de tous les autres ;
- le fait, pour un dirigeant, d’avoir vendu ou donné des biens ou des immeubles ;
- le fait, pour un dirigeant, d’avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds, afin de retarder l’état de cessation des paiements de l’entreprise et donc le moment d’ouverture de la procédure collective ;
- etc.
Saisie-attribution. Lorsqu’un créancier fait réaliser une saisie-attribution qui, a posteriori, tombe dans la période suspecte, la procédure sera annulée s’il est prouvé que le créancier était au courant de l’état de cessation des paiements de son débiteur, ou du moins qu’il ne pouvait l’ignorer.
Difficultés des entreprises : connaissez-vous le dispositif « Signaux faibles » ?
Le contexte. Pour anticiper au plus vite les difficultés rencontrées par les entreprises, la Direction générale des entreprises (DGE) a signé, le 3 avril 2019, une convention relative au déploiement du dispositif « Signaux Faibles » avec nombre d’organismes divers (parmi lesquels la Banque de France, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGFEP), etc.).
Le principe. Résolument novateur, ce dispositif, qui associe l’intelligence artificielle à une démarche partenariale inédite, repose sur le traitement de diverses données relatives aux entreprises fournies par les organismes partenaire par le biais d’algorithmes.
Quelles suites ? Ce traitement a pour objectif de permettre d’identifier les entreprises les plus fragilisées afin de leur proposer, le plus tôt possible, la mise en place d’un accompagnement personnalisé par :
- le commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises ;
- les chargés de mission de la Direccte ;
- ou les correspondants « entreprises » de la Banque de France et des URSSAF.
L’objectif. Le but est simple : agir au plus tôt, afin d’augmenter les chances de redressement des entreprises identifiées, et leur permettre de consolider leur développement, notamment via l’appui de partenaires régionaux (de type Bpifrance, Chambres de commerce et de l’industrie, tribunal de commerce, etc.).
À retenir
L’état de cessation des paiements oblige le représentant d’une entreprise à effectuer une déclaration en ce sens auprès du tribunal compétent. Cette déclaration marque l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
- Article L 621-1 du Code de commerce (cessation des paiements)
- Articles L 631-4 et L 640-1 du Code de commerce (délai de 45 jours pour demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire)
- Article L 631-8 du Code de commerce (la date de cessation des paiements peut être modifiée sans pouvoir être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement d’ouverture)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 31 novembre 1993 (la déclaration tardive de la cessation des paiements est une faute de gestion pour le gérant)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 1er juillet 2020, no 19-12068 (l’apport en compte courant d’un dirigeant d’une société en difficultés peut constituer un financement anormal si, en raison des anomalies de gestion relevées à l’encontre de la société, son seul objectif est de masquer la persistance de l’état de cessation des paiements)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 18 novembre 2020, no 18-24301 (l’acquéreur de titres sociaux d’une société mise en liquidation judiciaire peut obtenir l’annulation de la vente si la date de cessation des paiements a été fixée avant la vente par le tribunal, et qu’il n’a pas été informé de la gravité de la situation par les cédants)
- Actualité du portail de la Direction générale des Entreprises (dispositif « Signaux faibles »)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 24 mars 2021, no 19-21424 (le prix d’une vente immobilière ne constitue un « actif disponible » qu’à la condition d’avoir été encaissé)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 7 février 2024, no 22-22557 (annulation d’une saisie-attribution pendant la période suspecte)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 12 juin 2024, no 19-14480 (absence de compensation entre une créance de restitution et une créance née après la période suspecte)