Marché à forfait : comment gérer les travaux supplémentaires ?
Rappels utiles sur le marché à forfait
Une distinction à connaître. Un marché à forfait est un contrat par lequel un entrepreneur s'engage à réaliser des travaux pour la construction d’un bâtiment pour un prix fixe. Un marché à forfait implique que l'entrepreneur ne pourra pas modifier les conditions tarifaires sans obtenir l'accord de son client (le maître de l’ouvrage). Cela suppose donc que, tant l’entrepreneur que son client, accepte un aléa : pour l’un, ce sera de supporter un coût réel supérieur à ce qu’il avait estimé ; pour l’autre, ce sera de payé un prix supérieur au coût réel des travaux. Mais il faut distinguer le forfait légal du forfait imparfait…
Le forfait légal. Le forfait légal répond aux 5 critères suivants :
- un contrat signé avec le maître de l’ouvrage ;
- un maître de l’ouvrage effectivement propriétaire du terrain sur lequel est édifié le bâtiment ;
- la construction d’un bâtiment ;
- une description précise, d’après un plan arrêté et convenu expressément avec le maître de l’ouvrage, des travaux nécessaires à la réalisation de l’ouvrage. Dès lors, les travaux complémentaires sont exclus du forfait et doivent faire l’objet d’un règlement spécifique ;
- le prix correspondant à ces travaux doit être fixé globalement, de façon ferme et définitive.
Le forfait imparfait. Par nature contractuel, le forfait imparfait est un marché forfaitaire aux termes duquel les parties ont ajouté des clauses qui en modifient le caractère et les effets. Concrètement, le client (maître de l’ouvrage) a la possibilité de modifier les plans et les devis, d’augmenter ou de réduire le volume des travaux ou l’importance des natures d’ouvrage. En contrepartie, l’entrepreneur a le droit de demander un supplément de prix pour les travaux complémentaires réalisés.
Marché à forfait et travaux supplémentaires : attention au formalisme
Un principe. En matière de marché à forfait portant sur la construction d’un bâtiment, les travaux supplémentaires doivent être autorisés par écrit et le prix convenu avec le client. A défaut de cet accord exprès, ces travaux ne pourront donner lieu à aucune augmentation de prix.
Une application. Le principe veut donc que les travaux ne peuvent pas être payés en l’absence d’une acceptation expresse du maître de l’ouvrage, et ce, même s’ils résultent d’un aléa imprévisible, même s’ils sont imposés par la réglementation en vigueur et même s’ils sont jugés indispensables par un expert.
Un impératif. L’acceptation du maître de l’ouvrage doit résulter soit d’un accord écrit préalable, soit d’une ratification donnée de manière expresse et non équivoque après la réalisation des travaux, la preuve étant ici à la charge de l’entrepreneur. En l’absence d’un tel écrit, et bien que les travaux aient été payés et réceptionnés sans réserve, le juge pourra malgré tout considérer que l’entreprise n’a pas le droit au paiement de ces travaux supplémentaires réalisés par elle.
Attention aux contradictions ! Une procédure contractuelle de clôture des comptes mise en place par les parties ne peut prévaloir sur la qualification donnée au contrat : ainsi en est-il de l’application de la norme NF P 03-001, prévoyant l'établissement d’un décompte définitif et qu'à défaut de toute réponse du maître de l'ouvrage dans le délai de trente jours dont il dispose pour accepter ou refuser les observations de l'entreprise, celui-ci est réputé avoir accepté le solde du prix des travaux chiffré par cette dernière.
Le saviez-vous ?
Il a été jugé que, dans le cadre d’un marché à forfait, des travaux supplémentaires commandés par un maître d’œuvre n’ont pas être payés par le maître de l’ouvrage si ce dernier ne les a pas acceptés sans équivoque après leur exécution.
Marché à forfait et travaux supplémentaires : des solutions existent, le cas échéant
La ratification. Le juge peut admettre que, si les travaux n’ont pas fait l’objet d’un ordre préalable écrit par le client, ils peuvent toutefois être pris en compte en cas de ratification tacite desdits travaux par ce dernier. Une ratification tacite suppose la démonstration d’une acceptation non équivoque du maître de l’ouvrage et ne peut résulter de la seule connaissance par ce dernier de la réalisation de travaux supplémentaires et de son silence gardé pendant leur exécution, ni de la prise de possession des lieux, ni de la réception sans réserve de l’ouvrage.
Attention ! Un paiement sans réserve empêche de remettre en cause, lors du décompte général définitif, la valorisation des travaux supplémentaires.
Les « sujétions imprévues ». Il s’agit d’une théorie qui se définit comme des difficultés matérielles d’exécution des travaux pouvant résulter de l’état du sol, ou encore d’aléas climatiques, ces difficultés devant être extérieures aux parties, présenter un caractère exceptionnel, être imprévisibles et donc rendre plus onéreuse l’exécution des travaux. La charge de la preuve incombe à l’entrepreneur qui se prévaut d’une sujétion imprévue.
Dans ce cas… Comme l’a précisé le juge, il est possible à l’entrepreneur de demander le dédommagement des sujétions imprévues issues du déroulement du chantier. En clair, les travaux supplémentaires résultant de ces sujétions imprévues pourront être payés par le client.
Pour éviter toutes difficultés… Il peut être utile pour l’entrepreneur, voire impératif, de stipuler dans le contrat que les circonstances aggravant ses contraintes pendant l’exécution du marché donneront lieu à majoration du prix. La clause permettra alors de transférer l’aléa du forfait au maître de l’ouvrage, lorsqu’un évènement se produira, sans être constitutif de force majeure.
Le « bouleversement de l’économie du contrat ». Si les conditions réelles d’exécution s’avèrent notablement différentes de celles envisagées par les parties par suite de circonstances indépendantes de l’entreprise, ou du fait du maître de l’ouvrage, il ne peut qu’en résulter des surcoûts pouvant justifier l’application de la théorie du bouleversement de l’économie du contrat.
Concrètement. Les travaux supplémentaires ou modificatifs à l’origine du bouleversement de l’économie du contrat pourront alors être pris en charge par le client. Mais ils doivent impérativement résulter d’une autorisation de la part de ce dernier : il n’est pas nécessaire que cette autorisation soit préalable à l’exécution des travaux ; elle peut être donnée a posteriori (ratification). Dans tous les cas, il faut une acceptation expresse et non équivoque du maître de l’ouvrage.
Illustration. Il a été jugé qu’un constructeur ayant réalisé un surplus de travaux à la demande de ses clients, sans pour autant leur avoir fait signer un avenant au CCMI en ce sens, n’était pas fondé à leur réclamer un complément de prix.
En pratique. Celui qui invoque le bouleversement du contrat doit démontrer :
- l’existence d’un accord écrit du maître de l’ouvrage, préalable à l’exécution des travaux supplémentaires ou modificatifs ;
- ou d’un accord exprès et non équivoque donné par le maître de l’ouvrage après leur exécution ;
- à défaut d’un tel accord, que les travaux supplémentaires exécutés ont été de nature à entraîner le bouleversement de l’économie du contrat.
Pour la petite histoire. Un artisan candidate à un marché à forfait : il doit intervenir en qualité de sous-traitant. L’entrepreneur principal lui indique que le mode opératoire qu’il propose pour réaliser les travaux est refusé. Néanmoins, l’artisan signe un contrat et travaille sur le chantier. Il réalise les travaux en recourant à un autre mode opératoire. Mais ce dernier coûte plus cher que ce qui est prévu dans le marché à forfait. L’artisan demande une rémunération pour ces coûts supplémentaires, estimant qu’il y a une un bouleversement l’économie du contrat. A tort, selon le juge : l’artisan aurait dû chiffrer avant la signature du contrat, le surcoût généré par le changement de mode opératoire. Dès lors, tenu par les montants indiqués dans le marché à forfait, il n’y a pas de bouleversement de l’économie du contrat.
A retenir
Dans le cadre d’un marché à forfait, le paiement des travaux supplémentaires ne peut être réclamé au client que s’ils ont été autorisés par lui, par écrit, au prix convenu avec l’entrepreneur.
- Article 1793 du Code Civil (principe d’acceptation des travaux supplémentaires)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 28 juin 1983, n° 81-15796 (forfait légal et travaux supplémentaires – aléa imprévisible)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 1er février 1984, n° 82-15008 (forfait légal et travaux supplémentaires imposés par la réglementation)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 3 juin 1982, n° 80-15835 (forfait légal et travaux supplémentaires jugés indispensables par un expert)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 4 mai 1995, n° 93-15557 (sujétions imprévues)
- Arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 23 septembre 1999, n° 1997-161 (sous-traitance)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 29 mai 2013, n° 12-17715 (acceptation tacite sous conditions des travaux supplémentaires)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 2 juin 2016, n° 15-16673 (travaux supplémentaires commandés par le maître d’œuvre)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 21 juin 2018, n° 17-10480 (surcoût généré par un changement du mode opératoire non proposé avant la signature du contrat)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 19 mars 2020, n° 19-14029 (NP - à défaut de signature d’un avenant, le constructeur ne peut réclamer un complément de prix pour la réalisation de travaux supplémentaires)
- Arrêt de la Cour de cassation, 3e chambre civile, du 8 juin 2023, no 22-10393 (importance de la qualification donnée au contrat)