Retard, pertes, avaries : quelle est la responsabilité du transporteur ?
Engager la responsabilité du transporteur
Un principe. Le contrat de transport doit prévoir ses modalités d’exécution. Cela signifie qu’il doit mentionner les conditions d'enlèvement et de livraison de la marchandise (les délais, notamment), le prix de la prestation et les obligations respectives des parties.
À défaut de contrat écrit ? Si vous n’avez pas signé de contrat prévoyant les modalités d’exécution de la prestation, vos relations avec le transporteur sont encadrées par un contrat type.
=> Vous pouvez consulter notre annexe : contrat type de commission de transport.
Pendant combien de temps ? Vous ne pourrez agir en responsabilité du transporteur, en cas de retard, de perte de la marchandise ou d’avaries, que pendant un délai d’un an. Ce délai se décompte à partir de la date de livraison de la marchandise (ou de la date à laquelle elle devait être remise, en cas de perte totale). Il peut être interrompu en cas de reconnaissance non équivoque par le transporteur de son obligation d’indemniser son client (ce qui peut permettre au client d’agir en justice au-delà du délai d’un an). Le délai de recours est toutefois porté à 5 ans en cas de volonté malveillante ou de déloyauté du transporteur.
Délai de prescription : attention aux détails ! Le juge a récemment rappelé que le délai de prescription d’un an ne concerne que les seuls contrats ayant pour objet des prestations de transport de marchandises. Ainsi, l’entreprise sous-traitante qui n’a été mandatée que pour la manutention d’un transformateur électrique ne peut se prévaloir de ce délai.
Le saviez-vous ?
Vous pouvez engager la responsabilité de votre client, si les marchandises transportées pour son compte ont causé des dommages à votre véhicule de transport. Dans ce cas, vous êtes également tenu d’agir dans le délai d’un an à compter de la date de livraison prévue au contrat, ou celle à laquelle la marchandise a pu être livrée.
Des formalités ? Pour bénéficier du délai d’un an pour agir en responsabilité, il faut préalablement que vous ayez accompli certaines formalités. Il s’agit ici de compléter la lettre de voiture au moment de la livraison de la marchandise. Une réception sans réserve de la marchandise exonère le transporteur de toute responsabilité quant aux dommages qui ont pu être causés à la marchandise.
Un court délai. Vous ne disposez que de 3 jours, à la réception de la marchandise, pour faire part de votre contestation par LRAR ou exploit d’huissier. Ne négligez pas cette formalité même si vous avez déjà émis des réserves sur la lettre de voiture. Si vous ne respectiez pas ce délai de 3 jours pour confirmer, par LRAR ou exploit d’huissier, vous ne pourriez plus engager la responsabilité du transporteur ultérieurement.
Responsabilité du transporteur en cas de retard
Une indemnisation. Par principe, tout retard préjudiciable dans l’exécution d’un contrat, s’il n’est pas justifié par un cas de force majeure, doit donner lieu à une indemnisation. En matière de transport de marchandises, ce principe est quelque peu adapté.
Une indemnisation limitée ? Le contrat type de commission de transport prévoit que tout retard occasionnant un préjudice donne lieu à indemnisation, celle-ci se limitant toutefois au prix de la prestation de transport (hors droits, taxes et frais divers).
Un complément d’indemnisation ? Si vous avez signé un contrat déterminant les modalités de son exécution, en fixant un délai ferme de livraison, ce délai s’impose au transporteur. Dès lors, tout retard occasionnant un préjudice donne lieu à réparation de l’entier préjudice.
Sauf… si le transporteur justifie d’un cas de force majeure ou si le contrat de commission de transport prévoit une clause limitative de responsabilité.
Le saviez-vous ?
La clause limitative de responsabilité n’est pas valable en cas de faute inexcusable du transporteur. C’est-à-dire s’il a commis une faute délibérée (sans raison valable) avec la pleine conscience qu’il puisse en résulter un dommage pour son client.
Responsabilité du transporteur en cas de pertes ou d’avaries
Qu’est-ce que la perte ? La perte résulte de l’impossibilité de livrer la marchandise prise en charge. Elle est partielle lorsqu’une partie de la marchandise mentionnée dans le document de prise en charge est livrée à destination. Elle est totale lorsque le transporteur est dans l’impossibilité matérielle de livrer le bien mentionné dans le document de prise en charge.
Qu’est-ce qu’une avarie ? Une avarie est un dommage causé à la marchandise entre son chargement et son déchargement du véhicule.
Quelle responsabilité ? Le transporteur ne peut pas s’exonérer de cette responsabilité (sauf dans le cadre d’un contrat international) : il s’agit d’une obligation de résultat qui pèse sur lui. Cela signifie que la marchandise doit arriver conformément à ce qu’elle était d’après le document de prise en charge. Ce principe est toutefois atténué si le dommage résulte d’un vice inhérent à la marchandise.
Exemple. Malgré la livraison, la responsabilité d’un transporteur maritime a été retenue car il n’avait pas effectué la totalité de sa mission. Dans cette affaire, le transporteur devait également retirer les verrous unissant les conteneurs entre eux. Or, il en a laissé un, et c’est ce verrou oublié qui a causé la chute d’un des conteneurs dans la mer…
Le saviez-vous ?
Si vous concourez au chargement du véhicule chargé du transport, vous avez la qualité d’expéditeur. Aussi, en cas de réserves émises par le destinataire, vous pourrez être mis en cause.
Client professionnel : quelle indemnisation ? L’indemnisation peut être plafonnée en application du contrat, lorsqu’il le prévoit. Par ailleurs, le contrat type fixe la réparation due par le transporteur à 20 € par kilogramme de poids brut de marchandise manquante ou avariée, sans pouvoir excéder une somme supérieure au produit du poids brut de la marchandise de l'envoi exprimé en tonnes multiplié par 5 000 €.
Mais… Il est possible de remplir une déclaration de valeur ou une déclaration d’intérêt spécial à la livraison. Dans ces cas, en cas de perte ou d’avarie, le transporteur sera redevable d’une indemnité égale à la valeur déclarée.
Client particulier : quelle indemnisation ? L’indemnisation peut être plafonnée en application du contrat, lorsqu’il le prévoit. Toutefois, la clause qui a pour objet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du client en cas de manquement du transporteur à ses obligations est abusive.
Vol de marchandises. En cas de vol de marchandises, le transporteur doit effectuer toutes les diligences nécessaires pour faire constater précisément l’existence et l’étendue des pertes.
Pour la petite histoire. Une société dont la marchandise a été volée a réclamé l’indemnisation totale de son préjudice, le transporteur n’ayant pas respecté le contrat. Ce dernier interdisait, en effet, le recours à la sous-traitance, ce qu’a pourtant fait le transporteur. Peine perdue, cependant, le juge rappelant que le seul fait de ne pas respecter l’interdiction de sous-traitance n’implique pas, en lui-même, la réalisation du vol.
Pour la petite histoire (bis). Une société dont la marchandise a été endommagée a également réclamée l’indemnisation totale de son préjudice, le transporteur ayant tenté de passer, sans succès, sous un pont trop petit pour le camion. Pour la société, il s’agissait là d’une faute délibérée du transporteur. A tort, pour le juge : le pont n’était pas aux normes départementales, ce qu’aucun panneau ne signalait.
Pour la petite histoire (ter). Une société de transport n’a pas pu faire valoir la clause limitative de responsabilité insérée dans un contrat à son client, suite au vol de sa marchandise (des téléviseurs). Le juge a, en effet, considéré que la société avait commis une faute inexcusable : le transporteur s’était garé, de nuit, sur un site isolé en pleine campagne, sans aucune surveillance effective. En outre, Les téléviseurs se trouvaient dans une remorque non cadenassée, ce qui était en contradiction avec les instructions qui lui avaient été données.
Pour la petite histoire (quater). Un transporteur a été chargé de transporter par navire des palmiers, dont 9 sont arrivés morts, à destination. Sa responsabilité n’a pas été retenue par le juge car le transporteur n’avait pas reçu d’instruction particulière, de la société qui les avait achetés, pour les soins à apporter aux palmiers ; et un rapport d’expertise a révélé que c’est l’entreprise qui avait chargé les palmiers dans le navire qui était fautive.
Pour la petite histoire (quinquies). Un transporteur a vu sa responsabilité engagée, sans qu’il puisse se prévaloir de la clause limitative de responsabilité, suite au vol des photocopieurs transportés durant un week-end, car il avait commis une faute inexcusable (entrepôt non surveillé le week-end et attelage laissé portes ouvertes).
Pour la petite histoire (sexies). Un juge a considéré qu’un transporteur n’avait pas commis de faute inexcusable en obéissant à l’injonction de voleurs déguisés en policiers.
Pour la petite histoire (septies). Le compartiment frigorifique du véhicule d’un transporteur a connu des dysfonctionnements durant un voyage. Mais parce le véhicule possédait toutes les attestations de conformité sanitaire requises, le juge a considéré que la faute inexcusable du transporteur n’était pas caractérisée.
Pour la petite histoire (octies). Il a été jugé qu’un transporteur n’ayant pas sanglé les marchandises transportées, qui ont chuté pendant le transport, n’avait pas commis de faute inexcusable dans la mesure où il ne lui avait été donné aucune instruction quant à l’arrimage des caisses. A défaut d’avoir eu conscience de la probabilité du dommage, il ne peut pas lui être reprochée une faute délibérée.
Pour la petite histoire (nonies A). Il a été jugé qu’un transporteur qui laisse une remorque de marchandises sur un parking sans surveillance après avoir désolidarisé la remorque du véhicule qui la tracte est responsable de son vol.
Pour la petite histoire (nonies B). Il a été jugé qu’un transporteur terrestre qui n’a pas émis de réserves à la réception de la marchandise peut toutefois s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve que les pertes et avaries sont survenues pendant le transport maritime. Dans cette affaire, le transport de la marchandise s’est fait en 2 temps : transport maritime, puis transport terrestre. A la suite du constat de la disparition et de la casse d’une partie de la marchandise à la livraison finale, le transporteur maritime contestait l’engagement de sa responsabilité, en indiquant que le transporteur terrestre, qui était intervenu en dernier lieu, n’avait pas émis de réserves à la réception de la marchandise. Sauf, a retenu le juge, que les éléments de preuve apportés par le transporteur terrestre prouvent que les avaries sont arrivées pendant le transport maritime. Le transporteur maritime est donc seul responsable.
Pour la petite histoire (nonies C). Il a été jugé qu’un transporteur n’est pas tenu de rembourser l’intégralité d’une marchandise volée au moment de la livraison, lorsqu’il existe un contrat de transport entre elle est la société expéditrice plafonnant cette indemnité. Selon le juge, le remboursement intégral n’est dû que lorsque le transporteur a commis une faute délibérée entrainant le vol. Or, s’il n’a pas connaissance de la valeur et de l’importance de la marchandise, il ne peut savoir que des précautions particulières sont à prendre. Dans ces conditions, il ne peut donc pas avoir conscience de la probabilité du dommage.
A retenir
Lorsque vous faites appel à un transporteur, celui-ci est tenu de livrer la marchandise (dans le même état que celui dans lequel vous l’avez laissé !). Il s’agit d’une obligation de résultat. Aussi, si le résultat n’est pas atteint, sa responsabilité peut être engagée. Néanmoins, les indemnisations auxquelles vous pourriez prétendre peuvent être encadrées. Soyez donc vigilant quant au contenu de votre contrat !
- Article 1231-1 du Code Civil (indemnisation en cas d’inexécution du contrat)
- Article L 132-8 du Code de commerce (action directe du transporteur)
- Articles L133-1 et suivants du Code de commerce (responsabilité des transporteurs)
- Articles L1432-1 et suivants du Code des transports
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 12 juillet 2016, n° 14-20906 (une faute non intentionnelle n’est pas une faute inexcusable)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 13 septembre 2016, n° 14-23137 (pas de responsabilité du transporteur pour avarie si l’expéditeur a chargé les marchandises dans le véhicule)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 15 novembre 2016, n° 15-13999 (action directe en paiement-recours à la sous-traitance)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 18 janvier 2017, n° 14-24018 et 15-17130 (responsabilité transporteur maritime-mission non terminée)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 8 mars 2017, n° 15-13384 (négligence fautive du transporteur)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 14 juin 2017, n° 16-12867 (pas de négligence fautive du transporteur)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 13 septembre 2017, n° 16-10596 (pas d’indemnisation totale-recours à la sous-traitance interdite par le contrat)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 10 janvier 2018, n° 16-21227 (marchandises volées-constatations insuffisantes)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 24 janvier 2018, n° 16-21284 (le voiturier est celui a effectué personnellement le transport)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 11 avril 2018, n° 17-12975 (absence de faute délibérée du transporteur)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 9 mai 2018, n° 17-13030 (nullité de la clause qui exonère le transporteur de toute responsabilité pour retard)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 20 juin 2018, n° 17-15164 (chauffeur qui roule trop vite-client non responsable)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 21 novembre 2018, n° 17-17468 (téléviseurs volés-faute inexcusable)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 16 janvier 2019, n° 17-17314 (palmiers morts-faute du chargeur et non du transporteur)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 16 janvier 2019, n° 17-26299 (photocopieurs volés-faute du transporteur)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 16 janvier 2019, n° 17-31683 (mobil-home qui heurte un pont-action hors délai du client)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 30 janvier 2019, n° 17-16604 (vol commis par des voleurs déguisés en policiers)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 3 avril 2019, n° 18-11242 (pas d’action directe)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 25 septembre 2019, n° 18-12265 (pas de mauvais choix du véhicule)
- Arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile, du 11 décembre 2019, n° 18-21164 (clause abusive et contrat de déménagement)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 26 janvier 2020, n° 18-11430 (délai de prescription d’un an applicable au transporteur qui agit en responsabilité contre son client)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 11 mars 2020, n° 18-25552 (délai de prescription applicable en cas de fraude au contrat de transport)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 11 mars 2020, n° 17-31612 (problème de sangles)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 21 octobre 2020, n° 19-16206 (un transporteur qui laisse une remorque de marchandises sur un parking sans surveillance après avoir désolidarisé la remorque du véhicule qui la tracte est responsable de son vol)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 6 janvier 2021, n° 18-22782 (le transporteur terrestre qui n’a pas émis de réserves à la réception des marchandises peut s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve que les pertes et avaries sont survenues pendant le transport maritime)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale du 25 novembre 2020, n°18-26387 (la société qui n’informe pas le transporteur de la valeur importante des colis transportés ne peut réclamer, en cas de vol de ceux-ci, une indemnisation intégrale de son préjudice)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 19 mai 2021, n° 19-22706 (un contrat de sous-traitance qui ne porte que sur la manutention d’un transformateur électrique n’a pas à être soumis au délai de prescription d’un an prévu en matière de transport)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 18 janvier 2023, no 21-18501 (transporteur maritime et emballage)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 19 avril 2023, no 21-25589 (point de départ du délai de prescription d’un an en cas de paiements partiels)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 5 juillet 2023, n° 22-14476 (cas de force majeur et imprévisibilité d’une localisation d’un blocage par des manifestants)