Contrôle fiscal : l’administration peut-elle utiliser des renseignements récupérés auprès d’autres entreprises ?
Motivation des redressements : tout est possible ?
L’administration peut le faire. L’administration peut utiliser les documents ou les renseignements qu’elle aura pu obtenir auprès de tiers pour justifier et fonder des rectifications fiscales concernant votre entreprise, notamment via l’exercice de son droit de communication. Mais cette possibilité est strictement encadrée.
Mais elle est tenue à une double obligation. Dans ce cas, vous n’êtes pas complétement démuni puisque si elle use de ce droit, l’administration est tenue à une double obligation à votre égard :
- tout d’abord, elle doit vous informer, avant la mise en recouvrement des impositions complémentaires, de la teneur et de l’origine des renseignements et/ou documents qu’elle utilise contre vous, avec une précision suffisante pour vous permettre de discuter utilement de leur provenance ;
- en outre, si vous en faites la demande, elle doit vous en communiquer une copie, également avant la mise en recouvrement des impositions supplémentaires.
Sinon. La méconnaissance, par l'administration, de cette obligation de communication sera de nature à annuler les impositions pour lesquelles elle a utilisé les renseignements et documents en cause, que ce soit pour effectuer son contrôle ou pour déterminer le montant de l'impôt. Et seulement ces impositions...
Exception 1. Cette obligation ne s’étend pas aux informations détenues par les différents services de l’administration fiscale qui sont librement accessibles à toutes personnes intéressées. Et c’est le cas par exemple, des relevés de surface détenus par le service de la publicité foncière ou le service du cadastre...
Exception 2. Cette obligation ne s’étend pas non plus aux documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, vous sont directement et effectivement accessibles dans les mêmes conditions qu'à l'administration (sauf si vous établissez que ne pouvez avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration).
Exception 3. L’obligation de communication ne s’étend pas à votre dossier fiscal personnel qui, en tant que tel, n’est pas un « document obtenu auprès d’un tiers ».
À noter. L’administration ne peut pas refuser de vous communiquer une copie des documents qu’elle a obtenus dans le cadre de son droit de communication au motif que vous avez déjà connaissance des informations contenues dans ces documents.
Exemple. C’est précisément ce qui est arrivé à un médecin : l’administration a refusé de lui fournir une copie des relevés de prestations qui lui avaient été fournis par la Sécurité sociale au motif que le médecin en connaissait parfaitement le contenu (il s’agissait des prestations qu’il avait lui-même facturées). Un argument écarté par le juge qui rappelle à l’administration qu’à partir du moment où la personne contrôlée demande une copie des documents obtenus dans le cadre du droit de communication, elle doit la lui fournir.
Le saviez-vous ?
L'obligation qui est faite à l’administration de tenir à votre disposition ou de vous communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents contenant les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux redressements ne peut porter que sur les documents effectivement détenus par les services fiscaux.
Si elle a obtenu ces informations à l’occasion du contrôle d’un tiers, il appartient à l'administration, d'une part, de vous en informer afin de vous mettre en mesure d'en demander communication à ce tiers et, d'autre part, de porter à votre connaissance l'ensemble des renseignements fondant l'imposition recueillis à l'occasion du contrôle de ce tiers.
Et si vous êtes codébiteur ? Si votre société est appelée en paiement d’un redressement fiscal en sa qualité de codébitrice de la société contrôlée, sachez que vous aussi vous pourrez demander (et obtenir) communication d’une copie des documents ayant fondé le redressement et ce, gratuitement.
Attention. Ces obligations ne visent toutefois que les seuls documents et renseignements, obtenus auprès de tiers, sur lesquels l’administration s’est fondée pour justifier les redressements.
S’agissant des décisions de justice. À ce propos les juges ont précisé que si l’administration est tenue d’informer la personne qui fait l’objet du contrôle fiscal de l’origine et de la teneur des documents qu’elle a obtenu auprès de tiers, cette obligation ne s’étend pas aux jugements qui sont librement accessibles au public ou qui sont mis à disposition des parties sur simple demande.
À noter. Ces obligations d’information et de communication s’appliquent dans le cas où l’administration détient les documents en question. Lorsqu’elle n’est pas en possession de ces documents, l’administration doit :
- vous en informer pour que vous puissiez en demander la communication auprès de la personne qui les détient (l’autorité judiciaire par exemple) ;
- et porter à votre connaissance les éléments et renseignements qu’elle a pu obtenir en consultant ces documents et sur lesquels elle fonde son imposition.
Le saviez-vous ?
Si les documents ou renseignements sont couverts par le secret professionnel, l’administration ne pourra pas communiquer ces renseignements sans le consentement du tiers concerné ou de toute personne habilitée à cet effet, sauf si vous êtes débiteur solidaire de l'impôt dû par ce tiers.
Elle pourra également faire le choix de vous communiquer ces documents en occultant les parties couvertes par le secret professionnel. Dès lors, elle devra vous apporter tout élément d’information approprié sur la nature des passages occultés et sur les raisons de leur occultation.
De même, si les documents sont obtenus dans le cadre d’une enquête judiciaire. L’administration ne pourra pas les communiquer : ces documents ne sont pas considérés comme de simples documents administratifs, mais comme des pièces d’une procédure juridictionnelle, donc non communicables.
Lutte contre le blanchiment. L’administration dispose d’un droit de communication en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme qu’elle pourra exercer auprès :
- des institutions et organismes financiers, établissements de crédit, banques, mutuelles, etc. ;
- des avocats, huissiers, notaires, conseillers en investissements financiers ou autres, des experts comptables;
- des casinos, cercles de jeux, etc.
En débattre ? L’administration n’est pas tenue d’ouvrir un débat ou une discussion avec vous sur le contenu des documents et renseignements qu’elle peut avoir obtenu auprès de tiers. Sauf s’il s’agit de pièces comptables de l’entreprise vérifiée…
Motivation des redressements : le cas des comparaisons entre entreprises
Une étude comparative… Il peut aussi arriver que le vérificateur s’appuie sur les données d’autres entreprises pour les comparer à celles déclarées par votre propre entreprise. Réaliser cette sorte d’étude comparative lui permettra de réunir des éléments en vue, le cas échéant, de rectifier les impôts et taxes de votre entreprise.
Exemples. On peut retrouver ce type de motivation lorsque le vérificateur envisage de remettre en cause le niveau de rémunération perçue par les dirigeants d’entreprise, le calcul des provisions pour dépréciation de stock dans certains secteurs d’activité, etc.
… possible, mais… Dans cette hypothèse, il faut noter que la double obligation d’information et de communication qui prévaut dans le cas de documents obtenus auprès de tiers ne s’applique aux données utilisées par l’administration pour asseoir des redressements en établissant des comparaisons avec d’autres entreprises. Mais cela ne dédouane toutefois pas l’administration de ses obligations plus générales liées à la motivation des rectifications envisagées.
Là encore, l’administration a une obligation. Comme l’a rappelé le juge de l’impôt, lorsque l'administration fiscale entend fonder un redressement sur des éléments de comparaison issus de données chiffrées provenant d'autres entreprises, elle doit, pour assurer le caractère contradictoire de la procédure, sans méconnaître le secret professionnel, désigner nommément ces entreprises mais ne vous fournir que des moyennes ne vous permettant pas de connaître, fût-ce indirectement, les données propres à chacune d'elles.
Motivation des redressements : focus sur les réseaux sociaux
Une expérimentation. A titre expérimental, pour une durée de 3 ans, l’administration fiscale et l’administration des douanes sont autorisées à collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés n'utilisant aucun système de reconnaissance faciale, les contenus librement accessibles sur les sites internet des plateformes Web pour rechercher les manquements pouvant révéler l’existence d’une activité occulte ou d’une fausse domiciliation à l'étranger en matière fiscale, ainsi que d’une activité de contrebande et de vente de produits contrefaits en matière douanière.
Données collectées. Seuls les contenus qui se rapportent à la personne qui les a délibérément divulgués et dont l’accès ne nécessite ni mot de passe, ni inscription sur le site Internet en cause peuvent être collectés ou exploités. Si la personne en question est titulaire, sur le site Internet, d’une page personnelle permettant le dépôt de commentaires ou toute autre forme d’interactions avec des tiers, ces commentaires ou interactions ne peuvent pas non plus être exploités.
Comment ? Il est interdit aux administrations de collecter des contenus au moyen d’identités d’emprunt ou de compte spécialement utilisés à cet effet, à l’exception des comptes destinés à être utilisés par l’intermédiaire d’interfaces de programmation mises à disposition par les plateformes Web.
2 phases. Les traitements informatisés utilisés par les administrations sont tout d’abord développés dans une « phase d’apprentissage et de conception », puis utilisés dans une « phase d’exploitation ».
Qui ? Ces traitements informatisés devront être mis en œuvre par des agents de l'administration fiscale et de l'administration des douanes ayant au moins le grade de contrôleur et spécialement habilités par le directeur général. Ces mêmes agents doivent régulièrement s’assurer que seules les données strictement nécessaires à la recherche des manquements et infractions sont collectées et traitées.
Sous-traitant ? Les données collectées ne peuvent pas faire l’objet d’une opération de collecte, de traitement et de conservation de la part d'un sous-traitant, sauf pour ce qui concerne la conception des outils de traitement des données.
Destruction des données. Les données sensibles et les autres données manifestement sans lien avec les infractions recherchées sont détruites au plus tard 5 jours ouvrés après leur collecte.
Conservation des données. Lorsqu'elles permettent de constater des manquements et des infractions, les données collectées strictement nécessaires sont conservées pour une période maximale d'1 an à compter de leur collecte et sont détruites à l'issue de cette période. Toutefois, lorsqu'elles sont utilisées dans le cadre d'une procédure pénale, fiscale ou douanière, ces données peuvent être conservées jusqu'au terme de la procédure. Les autres données sont détruites dans un délai maximum de 30 jours à compter de leur collecte.
Transmission des données. Lorsque les traitements réalisés permettent d'établir qu'il existe des indices qu'une personne a pu commettre un ou plusieurs manquements, les données collectées sont transmises au service compétent de l'administration fiscale ou de l'administration des douanes et droits indirects pour corroboration et enrichissement. Elles précisent la personne physique ou la structure visée, les infractions ou manquements détectés, et le ou les indices de nature à les établir.
Attention. Ces données ne peuvent être opposées à cette personne que dans le cadre d'une procédure de contrôle.
Droit d’accès. Les usagers disposent d’un droit d’accès aux informations collectées, d’un droit à la rectification et à l’effacement des données, ainsi qu’à la limitation de leur traitement. Ces garanties s’exercent auprès du service d’affectation des agents habilités à mettre en œuvre les traitements informatiques.
En revanche. Le droit d’information et le droit d’opposition ne s’appliquent pas.
A retenir
Utiliser des renseignements auprès de tiers est possible, mais l’administration fiscale est tenue dans ce cas à une double obligation : elle doit vous informer de la teneur et de l’origine des renseignements obtenus et, si vous en faites la demande, elle doit vous en communiquer une copie.
- Article L 76 B du Livre des procédures fiscales (renseignements obtenus auprès de tiers)
- Arrêt du Conseil d’État du 4 février 2013, n° 336592 (motivation par comparaison)
- Arrêt du Conseil d’État du 28 avril 2014, n° 357811 (communication des documents obtenus auprès de tiers ayant servis aux redressements)
- Arrêt du Conseil d’État du 26 mai 2014, n° 348574 (obligation d’information et renseignements issus des services de l’administration fiscale)
- Arrêts du Conseil d’État du 25 septembre 2014, n° 370354 et 370582 (pièce comptable – facture client)
- Arrêt du Conseil d’État du 18 mars 2015, n° 370128 (documents détenus par des tiers)
- Arrêt du Conseil d’État du 27 mars 2015, n° 375409 (documents détenus par des tiers)
- Arrêt du Conseil d’État du 12 février 2016, n° 380459 (pièce comptable – relevé bancaire)
- Arrêt du Conseil d’État du 9 mars 2016, n° 364586 (obligation d’information liée aux renseignements issus des déclarations de revenus)
- Arrêt du Conseil d’État du 22 février 2017, n° 398168 (renseignements non détenus directement par les services fiscaux)
- Arrêt du Conseil d’État du 19 juin 2017, n°396089 (documents communiqués par le Procureur dans le cadre d’une enquête judiciaire)
- Arrêt du Conseil d’État du 28 juillet 2017, n°392386 (documents communiqués et décisions de justice accessibles au public)
- Arrêts du Conseil d’État du 2 décembre 2016, n°387328, n°383727 et 383728 (relevés bancaires et documents non utilisés par l’administration)
- Loi de finances pour 2018 du 30 décembre 2017, n°2017-1837 (article 109)
- Arrêt du Conseil d’État du 30 mai 2018, n°402177 (documents couverts par le secret professionnel et occultation de certains passages)
- Avis du Conseil d’État du 6 juin 2018, n°418863 (communication des documents au codébiteur solidaire)
- Arrêt du Conseil d’État du 28 septembre 2018, n°407352 (demande de communication adressée après la mise en recouvrement des suppléments d’impôt)
- Arrêt du Conseil d’État du 21 novembre 2018, n°410741 (droit de communication et connaissance du contenu des documents)
- Arrêt du Conseil d’État du 24 avril 2019, n° 414420 (sanction du non-respect de l’obligation circonscrit aux impositions concernées)
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 10 avril 2019, n° 17-15819 (documents librement accessibles)
- Arrêt du Conseil d’État du 27 juin 2019, n° 421373 (documents librement accessibles)
- Arrêt du Conseil d’État du 27 décembre 2019, n°420632 (un dossier fiscal personnel n’est pas un document obtenu auprès d’un tiers)
- Loi de finances pour 2020 du 28 décembre 2019, n°2019-1479 (article 154 – expérimentation réseaux sociaux)
- Décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne
- Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 11 mai 2023, no 21-13326 (communication de documents en anglais et traduction française)
- Arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 3 août 2023, n° 21LY04285 (conditions d'utilisation des renseignements obtenus auprès de tiers pour fonder un redressement fiscal)