Dirigeants : focus sur la notion de « maître de l’affaire »
Maître de l’affaire : une théorie développée par le juge
Une invention. La notion de « maître de l’affaire » n’existe pas dans la Loi fiscale. C’est une notion qui a été inventée par le juge de l’impôt pour permettre à l’administration de dépasser les apparences : elle peut ainsi déterminer l’identité de la personne qui contrôle effectivement l’entreprise et ce, dans le but d’opérer les redressements fiscaux qui s’imposent.
Une définition. Le maître de l’affaire est donc la personne qui exerce effectivement la gestion de l’entreprise, tant sur le plan administratif et commercial que sur le plan financier, sans aucun contrôle, c’est-à-dire sans devoir rendre compte de sa gestion à qui que ce soit. Le problème de ce type de gestion est qu’elle aboutit fréquemment à une confusion entre le patrimoine personnel du dirigeant et le patrimoine de l’entreprise ! En utilisant cette théorie du « maître de l’affaire », l’administration a la possibilité de mettre en lumière cette confusion et surtout de la corriger en établissant les rectifications qui s’imposent.
Preuve. Il n’existe pas de moyen de preuve absolu permettant de déterminer qu’un dirigeant se comporte comme un « maître de l’affaire ». Les juges ont en revanche pu dégager un faisceau d’indices au fil de leurs décisions.
Indices. Ainsi, pour considérer qu’un dirigeant agit en tant que maître de l’affaire, il pourra être tenu compte :
- du nombre d’actions détenues ;
- du fait d’avoir à sa disposition la signature sociale ;
- de l’existence d’une procuration sur les comptes de l’entreprise ;
- de l’exercice de la gérance, en droit ou en fait ;
- et plus généralement, de toutes les circonstances qui pourraient s’avérer pertinentes.
Exemples. En application de ce faisceau d’indices, le juge de l’impôt a pu décider qu’un associé minoritaire qui détenait la signature sociale et une procuration sur les comptes s’était comporté comme maître de l’affaire en assumant la gestion de fait de l’entreprise (le gérant de droit résidant à cette époque à l’étranger). De même, le juge a pu considérer qu’un dirigeant salarié, non associé de l’entreprise, et époux de la gérante de droit, avait agi comme « maître de l’affaire ».
Maître de l’affaire : les conséquences de cette qualification
Utilisation. Cette notion est utilisée la plupart du temps par l’administration pour imposer entre les mains du dirigeant réel, le « maître de l’affaire », des revenus regardés comme étant distribués par la société (sommes non admises en déduction du résultat de la société, crédits bancaires non justifiés, etc.). Plus rarement, elle va s’en servir pour rehausser le résultat imposable de la société après avoir constaté un enrichissement inexpliqué de son dirigeant.
Confusion. Vous l’aurez compris, dans un cas comme dans l’autre, l’administration se servira de cette notion de « maître de l’affaire » pour d’une part, révéler une confusion de patrimoines et, d’autre part, pour procéder à la rectification de l’impôt dû.
A noter. La situation la plus fréquemment rencontrée est celle d’un contrôle fiscal de l’entreprise qui conduit à un rehaussement de son bénéfice imposable et, corrélativement, une rectification du revenu imposable du dirigeant qui se voit taxé personnellement (à hauteur du rehaussement) au titre des revenus de capitaux mobiliers.
Un seul maître. Le juge est venu préciser qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul et unique maître de l’affaire. Pour la petite histoire, l’administration avait rectifié l’impôt de deux frères, associés d’une même entreprise (l’un majoritaire et l’autre minoritaire), en les qualifiant tous deux de « maître de l’affaire ». A tort, selon le juge, qui a considéré que même si la réalité économique de l’entreprise établissait que plusieurs personnes en exerçaient la maîtrise conjointe, il ne pouvait y avoir qu’un seul et unique « maître de l’affaire » : celui qui dispose des pouvoirs les plus étendus !
A retenir
La notion de « maître de l’affaire » est une théorie construite par le juge de l’impôt. Elle permet à l’administration de passer outre les apparences et d’imposer entre les mains du véritable dirigeant des revenus regardés comme étant distribués par l’entreprise.
- Article 109 du Code général des impôts
- Arrêt du Conseil d’Etat du 6 février 1995, n°68383 (dirigeant salarié non associé = maître de l’affaire)
- Arrêt du Conseil d’Etat du 8 juin 2001, n°219872 (associé minoritaire = maître de l’affaire)
- Arrêt du Conseil d’Etat du 14 septembre 2016, n°400882 (maître de l’affaire et disposition des fonds sans aucun contrôle)
- Arrêt du Conseil d’Etat du 22 février 2017, n°388887 (un seul maître de l’affaire)
- Arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Versailles du 6 juillet 2017, n°16VE02826 (gérant de droit, salarié et associé minoritaire = maître de l’affaire)
- Arrêt du Conseil d’Etat du 8 novembre 2019, n°428687 (gérant de droit et associé minoritaire ≠ maître de l’affaire)
- Arrêt du Conseil d’Etat du 29 juin 2020, n°433827 (résultat rectifié de la société présentant un solde déficitaire et imposition du maître de l’affaire)
- Arrêt du Conseil d’Etat du 7 octobre 2020, n°427222 (les bénéfices reconstitués à raison de l'activité qu'une société étrangère exerce en France par l'intermédiaire d'un établissement stable ne peuvent, de ce seul fait, être regardés comme distribués au maître de l'affaire)
- Arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 1er mars 2023, n°21PA02113 (maître de l’affaire et faisceau d’indices)
- Arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 11 janvier 2024, n° 22LY02317 (revenus distribués et absence de nécessité de prouver la qualité de "maitre de l'affaire")
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles du 31 janvier 2024, n° 22VE00223 (maître de l’affaire et date de cessation des fonctions de gérant)
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 14 février 2024, n° 22PA05169 (gérant de fait et maître de l’affaire)
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 14 février 2024, n° 23PA00024 (un seul maître de l’affaire)